1/ Introduction.
Parmi les sujets liés aux questions climatiques, l’élévation du niveau de la mer observée sur le littoral de certaines régions du monde est l’un de ceux qui nourrissent l’inquiétude voire les fantasmes.
Pour des raisons liées à l’histoire de l’économie, des transports et du tourisme, une partie importante et croissante de la population mondiale réside, soit sur les côtes maritimes proprement dites, soit en bordure des estuaires, des deltas et des cours inférieurs des fleuves qui en constituent autant de prolongements. La proportion de population concernée a donné lieu à des estimations très variables selon les auteurs et les critères retenus (éloignement des côtes, altitudes, vulnérabilité, etc.), mais certaines évaluations font état d’un quart et jusqu’à la moitié de la population mondiale.
De très grandes métropoles du monde sont des ports maritimes qui ne cessent de prendre de l’extension. Ces métropoles ont des besoins croissants de nouvelles superficies, de constructions et d’alimentation en eau. Il en résulte une occupation progressive, des surcharges de sols et des puisements dans les nappes phréatiques, ce qui provoque des tassements littoraux. Il en va de même dans certaines îles océaniques prisées par le tourisme exotique. Enfin il n’est pas nécessaire de rappeler dans certains pays les surfaces gagnées sur la mer et garanties par des protections entièrement artificielles.
On comprend donc que le sujet soit particulièrement sensible. Comme il est facile de simuler les effets d’une variation du niveau marin, il ne manque pas de photomontages et de films évocateurs montrant à quoi pourrait ressembler telle grande ville au cas où…, afin de frapper les imaginations.
Précisons que les présents commentaires n’ont aucun caractère scientifique ; ils se bornent à des constatations fondées sur les mesures marégraphiques, sans tentatives d’explication de phénomènes qui sont très complexes comme tout ce qui concerne les sciences de la terre.
2/ Observation du niveau de la mer.
Depuis quelques années, les observations se sont perfectionnées par l’utilisation de satellites, qui sont censés fournir des données « absolues » c’est-à-dire indépendantes des repères terrestres. On n’en parlera pas ici.
Jusqu’à une période récente, les seuls instruments d’observation de l’évolution du niveau marin dans la période historique étaient les marégraphes, présents dans la plupart des ports de quelque importance. On ne développera pas ici le principe de cet appareil. Son inconvénient bien connu est que le niveau de l’eau est repéré par rapport à une référence terrestre. Celle-ci n’est pas nécessairement immuable, en raison des tassements ou soulèvements de natures géologique ou géotechnique qui peuvent l’affecter. Il reste que ce procédé permet de disposer de séries de mesures sur de longues périodes, qui fournissent déjà des informations sur les ordres de grandeur et les tendances.
On trouve de telles séries de mesures sur le site du Permanent Service for Mean Sea Level (PSMSL) 1 fondé en 1933 et basé à Liverpool au Royaume-Uni. Le PSMSL recense environ 2 000 stations marégraphiques réparties dans le monde entier. Les données sont directement et gratuitement accessibles.
Dans la présente note, il ne sera question que des données marégraphiques, et exclusivement celles du PSMSL. Pour chaque station, on dispose de séries annuelles et de séries mensuelles. Elles comportent malheureusement des lacunes parfois importantes. On n’a pas cherché à compléter ces lacunes en recourant à d’autres sources, ce qui aurait pris beaucoup de temps. On va voir qu’il est déjà possible de tirer de ces séries des enseignements au moins sommaires. Les dernières mises à jour du PSMSL comportent les données de l’année 2013.
Les références d’altitudes données par la PSMSL sont les « Revised Local Reference » ou RLR dont le principe est ancien, conventionnel, et généralisé au monde entier. Le zéro a été choisi à 7 mètres (7000 mm) au-dessous du niveau moyen, de façon à être certain qu’aucune mesure ne soit négative ; les valeurs RLR ne sont donc que relatives et n’ont aucune signification topographique locale.
3/ Le cas de la France.
La France métropolitaine est un cas intéressant car elle bénéficie d’une double, ou même d’une triple exposition ; Manche, Atlantique (ces deux expositions communiquant d’ailleurs largement) et Méditerranée. La population des zones littorales est parfois estimée à 10% de la population.
Le PSMSL recense 28 stations françaises (9 en Manche, 14 en Atlantique, 5 en Méditerranée). Les séries marégraphiques sont toutes à jour pour 2013. Cependant on en a éliminé quelques-unes, soit pour leurs origines trop récentes, soit à cause de lacunes importantes. En contrepartie on a eu recours à des stations de pays voisins pour corroborer et compléter les séries françaises.
Les séries les plus longues sont les suivantes :
-Brest : 1807-2013 (avec quelques lacunes)
-Newlyn (pointe extrême de la Cornouaille et sensiblement à la longitude de Brest) : 1916-2013
-Marseille : 1885-2013 (avec quelques lacunes)
-Genova (Gênes) : 1884-1996 (avec une lacune entre 1910 et 1930) et 2001-2013 (deux séries séparées)
On trouve ensuite des stations dont les séries commencent vers 1940 : Dunkerque, Le Havre, La Rochelle (cette dernière avec des lacunes considérables) ; à partir de 1960, l’échantillon de stations commence à s’étoffer, ce qui donne déjà plus d’un demi-siècle d’observations basées sur une vingtaine de stations marégraphiques.
Le principe adopté ci-après a consisté à retracer d’abord les quatre séries les plus longues, et à examiner ensuite si les autres séries présentent des tendances analogues.
4/ Manche et Atlantique.
Le graphique ci-dessous retrace les données annuelles RLR des stations de Brest et Newlyn.
Sur la période de recouvrement des deux stations, les deux courbes sont le plus souvent presque confondues ou parallèles.
A première vue, il semble que le niveau soit resté étale à environ 6925 mm entre 1807 et 1910, et qu’il ait augmenté depuis cette date, passant de 6925 à 7125 mm, avec cependant des interruptions de croissance pendant certaines périodes (1915-1925 et 1960-1975). On remarque aussi quelques « pics » très prononcés. Sur longue période, l’augmentation du niveau de la mer s’établit ainsi à 200 mm sur 105 ans, soit environ 1,9 mm/an. Les écarts d’une année à l’autre peuvent être relativement importants (50 à 100 mm) au regard de la tendance générale.
Afin de corroborer les deux séries principales, on a fait figurer les données de cinq stations supplémentaires des côtes de la Manche sur le même graphique, avec une origine en 1916 (début des données de Newlyn). Malgré les nombreuses lacunes, on voit que les courbes s’inscrivent dans un fuseau de même tendance que les deux stations principales (les échelles d’ordonnées ont été étendues pour mieux faire apparaître les fuseaux de courbes).
Le même exercice a été fait pour les côtes de l’océan atlantique, en ajoutant neuf stations supplémentaires, de Concarneau à la côte basque espagnole.
On retrouve des tendances analogues aux précédentes, ce qui montre que sur l’ensemble des côtes françaises ouvertes sur l’Atlantique, de Dunkerque à Saint-Jean-de-Luz, le régime d’augmentation du niveau de la mer est homogène. La relative concordance des tendances observées, malgré la diversité géologique des zones littorales, suggère que la fixité des repères terrestres ne pose pas de problème notable.
5/ Méditerranée.
Le graphique ci-dessous retrace les données annuelles RLR des stations de Marseille et Gênes.
L’allure des courbes est différente de celles de l’Atlantique. On voit que le niveau a augmenté d’environ 150 mm entre le début du XXème siècle et vers 1960, époque à laquelle cette tendance s’interrompt brusquement. On constate ensuite une légère baisse de 1960 à 1980, puis une reprise de l’augmentation depuis lors, avec un « pic » remarquable en 2010. Sur longue période, de 1885 à 2013, le niveau de la mer a augmenté d’environ 150 mm, mais cette augmentation était déjà acquise dès 1960 (ce qui correspondait à 2 mm/an).
Malheureusement, ces trois séries présentent des lacunes importantes, précisément pour ces trente dernières années. Pour les compléter, on a eu recours à huit marégraphes situés : en France (Nice et Ajaccio), en Espagne (Barcelone et l’Estartit sur la Costa brava), à Monaco, et en Italie (Imperia et Carloporte dans le golfe de Gênes et Porto Torres en Sardaigne).
Le graphique ci-dessous retrace les séries de ces onze stations pour la période récente 1980-2013.
A toutes les stations, on retrouve le « pic » de 2010 qui est ainsi confirmé 2. En moyenne entre 1980 et 2013 le niveau de la mer a augmenté d’environ 75 mm, soit 2 à 2,5 mm/an. Toutefois, comme pour tout paramètre qui peut varier de façon significative d’une année à l’autre, cette valeur est sensible au choix de la date origine des séries.
6/ Conclusions.
Insistons sur le fait que ces commentaires ne comportent aucune interprétation scientifique des phénomènes décrits. On sait que le niveau des océans et des mers, que ce soit dans l’absolu ou par rapport aux repères terrestres, varie sous l’influence de paramètres variés : température de l’eau qui provoque l’effet dit « stérique » 3, fonte ou re-glaciation des glaciers de chaînes de montagnes et des continents circumpolaires, régime des vents, courants marins, activité des dorsales sous-marines, et enfin mouvements terrestres dus au rebond glaciaire, aux affaissements naturels ou anthropiques, à l’activité sismique, etc.
Le présent examen a été limité aux littoraux de la France métropolitaine et de certains littoraux voisins, ce qui donne déjà une première idée des ordres de grandeur et des tendances sur plus de 3 000 km de côtes relativement urbanisées et fréquentées 4.
On a vu que depuis au moins un siècle et demi la tendance est à une élévation du niveau de la mer, malgré des fluctuations parfois notables. Les différents marégraphes dont les données sont publiques et accessibles concordent sur ce point. Sur longues périodes, cette tendance est de l’ordre de 2 mm/an, plus ou moins 0,5 mm/an.
Il en est résulté une élévation du niveau des mers entourant notre pays, dont l’ordre de grandeur est d’environ 20 ou 25 cm en un siècle, soit la longueur d’une main. Pour le moment, les conséquences en sont peu perceptibles, car cet ordre de grandeur de long terme est faible au regard des fluctuations annuelles ou périodiques ou encore des marées.
La question actuellement posée est de savoir si cette élévation va se poursuivre, et à quel rythme. Si le rythme restait le même, ce qui serait l’hypothèse « naïve » comme disent les statisticiens, la mer gagnerait encore une vingtaine de centimètres d’élévation d’ici la fin du XXIème siècle, ce qui paraît tout à fait gérable. Au-delà de cette échéance, on se projette dans le grand avenir que personne au monde n’est capable d’envisager et encore moins de maîtriser.
Certains augures ne nous en annoncent pas moins à cette échéance des élévations réputées « catastrophiques », à grands renforts de discours emphatiques et d’illustrations suggestives 5. Pour que l’on puisse ajouter foi à ces pronostics, il faudrait déjà que soient fournis deux types d’informations essentielles :
-les paramètres qui sont intervenus dans l’évolution du niveau de la mer depuis le XIXème siècle, y compris les anomalies, les pauses ou les régressions ; l’influence de chacun de ces différents paramètres ;
-les raisons pour lesquelles ces paramètres évolueraient dans le proche et moyen avenir au point d’entraîner une rupture de la tendance séculaire de montée des eaux.
1 Voir http://www.psmsl.org/data/obtaining/reference.php pour les précautions d’emplois et les références.
2 En consultant les séries mensuelles, on voit que ce pic a notamment pour cause des niveaux très élevés pour les mois d’octobre (qui est en général la pointe de l’année) mais aussi novembre et décembre.
3 Cette température est elle-même influencée notamment par celle de l’atmosphère.
4 Comme on l’a indiqué, il est couramment admis que 10% de la population française habite les zones littorales ; mais le nombre de personnes concernées augmente très sensiblement en période estivale.
5 On se rappelle le petit « réfugié climatique », avec les pieds dans l’eau aux approches de Paris, dont se sont malheureusement rendus coupables des services français pourtant officiels et écoutés.