
1. Introduction.
Les glaciers ont toujours constitué un sujet de préoccupations populaires, de natures différentes selon les époques de l’histoire du climat et selon les saisons.
Lors du petit âge glaciaire, on redoutait leurs avancées qui menaçaient d’engloutir des villages de montagne, avec pour seul remède connu des processions et des prières, puis des actions de grâce une fois le péril écarté.
La fonte saisonnière des glaciers qui alimentent les torrents de montagne, et plus en aval des rivières et des fleuves, peut entraîner des crues importantes si cette fonte est aggravée par des précipitations en plaines.
Les glaciers participent aux équilibres hydrologiques locaux en tant que réserves d’eau et régulateurs de crues ; or depuis la fin du petit âge glaciaire c’est-à-dire le milieu du 19ème siècle, la majorité des glaciers est en phase de recul.
Enfin, la fonte des glaciers, au plan global et toutes choses égales par ailleurs, entraîne mécaniquement une certaine surélévation du niveau des océans puisqu’il y a déstockage d’eau terrestre (et inversement s’il y a lieu).
2. Répartition de l’eau sur la terre.
Les chiffres qui suivent ne sont que des ordres de grandeur pour fixer les idées, car ils diffèrent selon les publications 1.
Les océans couvrent 363 millions de km2 (Mkm2) soient 70% de la surface de la terre (510 Mkm2)
La quantité d’eau libre 2 existant sur la planète est de l’ordre de 1 360 millions de km3 (Mkm3) 3.
Cette eau serait répartie comme suit (l’eau atmosphérique pour sa part ne représente que quelques milliers de tonnes ou de m3, elle ne figure pas dans le tableau ci-dessous) :
- eau salée des océans : 1 320 Mkm3 (97%)
- eau douce : 40 Mkm3 ( 3%) dont :
- eaux de surface : 0,04 Mkm3
- nappes souterraines 7 Mkm3
- glace : 33 Mkm3, dont :
- continent antarctique : 30 Mkm3
- continent arctique (Groenland) : 2,6 Mkm3
- glaciers : 0,2 à 0,3Mkm3
Par conséquent, d’après les chiffres précédents, les glaciers à proprement parler représenteraient moins du centième du volume de glace et environ 0,015% du volume d’eau libre total de la planète.
3. Principales informations disponibles sur les glaciers.
-Le National Snow & Ice data center (NSIDC), institut coopératif entre la National Oceanic & Atmospheric administration (NOAA, département de la NASA) et l’université de Boulder (Colorado), publie une base de données des glaciers en accès libre et gratuit. La dernière version est datée de février 2012.
NSIDC répertorie 132 890 glaciers. Les informations fournies concernent la localisation (continent et pays, latitude et longitude), l’altitude, éventuellement le nom ou le numéro du glacier, le type, les mensurations (épaisseur, superficie, longueur, largeur, avec les degrés d’incertitude) ainsi que différents autres éléments d’informations (dates d’observation, de prise de vues, auteurs des observations, etc.).
Cette base de données est malheureusement très lacunaire : il manque un grand nombre de mensurations, en particulier les épaisseurs (avec parfois des valeurs aberrantes) et les altitudes. Les superficies sont indiquées pour 128 000 glaciers censés couvrir 469 500 km2. Les volumes des glaciers ne sont pas donnés.
-Un nouvel inventaire a été établi par un consortium international : le Randolph Glacier Inventory (RGI). Cet inventaire utilise évidemment des observations et des inventaires plus anciens mais repose surtout sur une exploitation nouvelle de données satellitaires.
Le RGI (nouvelle version 3.2) répertorie 197 654 glaciers répartis dans 19 régions du monde, pour une superficie estimée à 726 792 km2. Les éléments d’informations sont à peu près de même nature que ceux de la base NSIDC. Le nombre de glaciers est significativement supérieur à celui du NSIDC mais leur répartition spatiale est sensiblement la même.
-Plusieurs équipes scientifiques (Huss et Farinotti, Marzeion, Grinsted, Radic) ont procédé à des estimations du nombre, de la surface et du volume des glaciers entre 2010 et 2014. Certains auteurs donnent parfois des estimations très différentes à quelques années d’intervalle.
Ces publications récentes utilisent généralement l’inventaire RGI, complété par diverses autres informations.
-L’article le plus récent (Pfeffer & autres) a été publié par la revue Journal of Glaciologie en juin 2014. L’article est en accès libre. Il constitue une synthèse des publications antérieures les plus récentes et ajoute des éléments d’information complémentaires.
Dans ce qui suit, on s’appuiera sur l’inventaire RGI et l’article de Pfeffer.
4. Nombre, superficie et volume totaux des glaciers.
Il faut à nouveau préciser que les glaciers situés à la périphérie des calottes glaciaires (Groenland et Antarctique) ne doivent pas être confondus avec les calottes polaires elles-mêmes.
Le nombre de glaciers répertoriés actuellement est d’environ 200 000. Ce nombre peut être légèrement faussé du fait de doubles comptages dans le cas de glaciers composés. Il dépend aussi du seuil de superficie au-delà duquel les glaciers sont pris en compte : il est possible que le nombre total de glaciers toutes dimensions comprises soit deux fois supérieur. Toutefois on estime que les 200 000 glaciers ainsi décrits représentent la quasi-totalité des superficies et des volumes (près de 99% selon Pfeffer).
Leur superficie totale est estimée à environ 730 000 km2, avec une incertitude de ± 35 000 km2. Les auteurs distinguent parfois les superficies respectives de trois groupes : glaciers en périphérie du Groenland (90 000 km2), glaciers en périphérie de l’Antarctique (135 000 km2) et glaciers du reste du monde (505 000 km2).
Leur volume total est estimé selon les différents auteurs entre 140 000 et 170 000 km3.4
Enfin la plupart des auteurs complètent l’estimation des volumes par l’élévation du niveau de la mer tout théorique qui résulterait d’une fonte totale des glaciers à partir de leur état actuel. Dans cette hypothèse extrême et en reprenant les volumes précédents, cette élévation serait par conséquent de l’ordre de (140 000 à 170 000 km3) / 363 Mkm2, soit 38 à 47 cm.
5. Localisation des glaciers.
Le planisphère schématique ci-après montre où sont localisés les glaciers.

(source : « population data.net » ; les glaciers sont représentés en bleu)
On voit que les glaciers se rencontrent, soit aux hautes latitudes nord et sud, soit dans les massifs montagneux aisément identifiables sur le planisphère (Himalaya, Montagnes Rocheuses, Cordillère des Andes, Alpes).
Une autre représentation intéressante maintenant classique consiste en un schéma qui croise latitudes, altitudes et (en code couleur) températures du mois le plus chaud à la ligne d’équilibre 5. Chaque glacier est représenté par un pixel. Il faut un examen un peu attentif pour comprendre cette représentation.

(source Huss et Farinotti, universités de Fribourg et Zürich, 2012)
Enfin voici deux graphiques montrant la répartition des superficies et des volumes des glaciers entre grandes régions du monde.


Les répartitions sont en résumé les suivantes :
- Hémisphère nord : 78% des superficies et 74% des volumes
- Hémisphère sud : 22% des superficies et 26% des volumes
- Zones arctiques : 58% des superficies et 66% des volumes
- Antarctique : 18% des superficies et 23% des volumes
- Massifs montagneux : 24% des superficies et 11% des volumes.
On voit la prépondérance considérable, en superficie et surtout en volume, des glaciers circumpolaires nord et sud (89% des volumes). Leur épaisseur moyenne est 2,5 fois plus importante que celle des glaciers de montagnes.
6. Évolution des glaciers.
Il est généralement admis, ce qui est d’ailleurs logique, que les glaciers sont majoritairement en période de recul depuis la fin du petit âge glaciaire.
La quantification de ce recul en termes de volumes de glace est toutefois problématique. Le nombre considérable de glaciers, les difficultés d’accès, le manque de longues séries statistiques de relevés, et l’incertitude même sur les volumes actuels en rendent l’évaluation très incertaine 6.
L’avènement des satellites et de moyens de calculs de plus en plus puissants a permis des progrès importants en termes d’inventaires, mais ces derniers sont encore trop récents et trop imparfaits pour que l’on puisse en déduire des évolutions significatives.
Les glaciologues en sont donc actuellement réduits à utiliser des modèles, basés sur des périodes d’observations relativement brèves et un petit nombre de glaciers, puis à appliquer ces modèles à l’ensemble des glaciers de la planète. En outre, les observations du passé ne portaient le plus souvent que sur l’évolution des longueurs des glaciers et non celle de leurs volumes, et il a été nécessaire de rechercher une corrélation entre ces deux grandeurs. C’est dire que les estimations publiées sont à considérer avec circonspection.
Dans les articles scientifiques, la plupart des chiffres sont exprimés en contribution des glaciers à la surélévation du niveau des océans (qu’on désignera dans la suite par Sea level rise ou SLR).
Rappelons quelques ordres de grandeur. La SLR toutes causes de surélévation confondues 7, a par exemple été évaluée sur la base d’une recension des marégraphes mondiaux par Church et White en 2011 : ces auteurs donnaient un SLR global de 19,5 cm entre 1900 et 2009 (soit 1,7 mm par an). Les relevés satellites (Université Boulder, Colorado) donnent pour la période actuelle un SLR d’environ 3,2 mm par an.
La contribution de la fonte des glaciers au SLR a donné lieu à des estimations variées. On en donne ici quelques exemples (les marges d’incertitudes sont généralement de l’ordre de ± 20% à ± 30%) :
+1,6 cm sur la période 1961-2003 (Dyurgerov & Meier) soit + 0,4 mm par an
+4,5 cm sur la période 1900-2000 (Dyurgerov) soit + 0,45 mm par an
+2,8 cm sur la période 1900-1961 (Meier) soit + 0,47 mm par an.
Un article récent (Gardner, revue Science, mai 2013) relatif à la période 2003-2009, estime la contribution au SLR à 29% ± 13% du SLR total, et la fonte annuelle à 259 ± 28 Gt soit 259/0,9 = 290 km3. Tous calculs faits, on trouve environ + 0,8 mm par an de contribution au SLR, chiffres supérieur aux estimations précédentes (mais compatible avec l’hypothèse que la fonte des glaciers se serait accélérée ces deux dernières décennies).
Cet article permet aussi d’estimer la perte de volume annuel rapportée au volume total des glaciers (290 km3 rapporté à 140 000 ou 170 000 km3) : cette perte serait donc d’environ -0,2% par an.
7. Conclusions.
Le domaine des glaciers, leur surface, leur épaisseur, leur volume, leurs évolutions saisonnière, décennale et séculaire restent encore largement à découvrir, même si les moyens modernes d’investigation et de calcul ont permis de progresser notablement depuis quelques années.
Cette incertitude est notamment due au fait que l’essentiel des glaciers se situe dans les zones circumpolaires, secteurs exposés à des conditions climatiques extrêmes, d’accès difficile ou impossible, et où les investigations terrestres ne peuvent avoir lieu au maximum que la moitié de l’année. Les archives concernant les glaciers circumpolaires sont pratiquement inexistantes car la glaciologie s’est surtout intéressée aux massifs montagneux les plus accessibles, qui ne représentent qu’une fraction réduite de l’ensemble.
Les glaciologues, dans leurs publications scientifiques, ne dissimulent pas la pauvreté relative du matériel statistique dont ils disposent, et ils expliquent méthodiquement les analogies, les approximations et les extrapolations qu’ils ont dû utiliser pour parvenir à leurs chiffres, qui en conséquence sont donnés avec des marges d’incertitude considérables.
Tous les chiffres cités précédemment sont donc à considérer comme provisoires, même si certains ordres de grandeur commencent à être approchés. Il semble notamment que le volume total des glaciers doive être sensiblement revu à la baisse par rapport à ce qui figure dans les ouvrages de vulgarisation. Mais la distinction entre les deux grandes calottes glaciaires et les glaciers périphériques qui leur sont associés n’est pas toujours nette.
Quant à l’évolution des glaciers, les nouveaux dispositifs d’observation en continu par satellites devraient à l’avenir pouvoir fournir des enseignements plus précis. Il paraît peu douteux que la période de 1850 à nos jours ait été globalement une période de recul, même si les observations des glaciers alpins ont montré des successions de crues et de décrues. Selon des estimations récentes, le volume perdu par les glaciers serait de l’ordre de 0,2% par an.
Enfin, puisqu’il s’agit d’une crainte souvent alléguée, l’élévation du niveau de la mer qui en a probablement résulté et qui en résulterait éventuellement si les tendances se poursuivaient, serait inférieure à un millimètre par an, ce qui paraît possible à gérer.
1 Ces chiffres fondamentaux et considérables ne sont donc connus qu’approximativement.
2 Par « libre », on entend ici exclure l’eau « de constitution » des trois règnes minéral, végétal et animal.
3 1 km3 = 109 m3. Pour une densité de 1 : 1 km3 = 109 tonnes = 1 gigatonne (Gt).
4 Pfeffer et autres utilisent des unités de masses, à raison de 1 tonne de glace = 1,11 m3 d’eau (densité de la glace : 0,9).
5 ELA signifie equilibrium line altitude, altitude de la ligne de partage entre la zone d’accumulation et la zone d’ablation d’un glacier.
6 Les glaciers les mieux étudiés et depuis le plus longtemps sont ceux des Alpes, mais leur importance au niveau mondial est minime, et l’extrapolation de leur comportement à l’ensemble des glaciers de montagnes et plus encore aux glaciers des zones circumpolaires est chose délicate.
7 Ces causes sont : l’expansion thermique, la fonte des calottes glaciaires, la fonte des glaciers, les prélèvements dans les nappes.