COMMENTAIRES SUR LE GAZ NATUREL.

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1. Introduction.

La question du gaz naturel a pris ces dernières années une acuité nouvelle, du fait de la mise en exploitation massive aux États-Unis des « gaz de schistes », qui ont en quelques années modifié significativement le marché mondial de l’énergie.

La présente note a pour objet de fournir quelques éléments d’appréciation sur le gaz naturel en récapitulant des données historiques aisément accessibles.
Les données utilisées sont pour l’essentiel issues de la publication statistique annuelle de British Petroleum (BP) : Statistical Review of world energy, édition 2014, qui comporte des séries longues pour toutes les sources d’énergies, jusqu’en 2013 inclus. En ce qui concerne le gaz naturel, les séries commencent en 1965 pour la consommation, en 1970 pour la production et en 1980 pour les réserves.
-Ces séries sont complétées en tant que de besoin grâce à diverses autres sources.

Les unités utilisées par BP sont les suivantes :
-pour la production et la consommation : les volumes en mètres-cubes et les tonnes équivalent pétrole (tep ou toe en anglais) ; accessoirement les pieds cubes par jour (dont il ne sera pas fait état ici)
-pour les réserves : les volumes en mètres-cubes.

Dans la présente note, on se référera uniquement aux volumes en m3, avec pour unité courante de production et de consommation annuelles le milliard de m3 (Gm3), qui correspond à environ 1,1 millions de tep (Mtep).

2. Production et consommation mondiales de gaz.

2.1 Production et consommation mondiales.

Si la présence de gaz naturel dans le sol semble avoir été connue depuis longtemps, son utilisation en tant que source d’énergie, notamment en substitution des gaz manufacturés 1, ne remonte qu’aux années 1960. En Europe, les gisements de Lacq et de Groningue n’ont été mis en exploitation qu’entre 1965 et 1970.

Le graphique ci-dessous montre l’évolution de la production et de la consommation mondiales depuis 1960. Comme pour les autres sources d’énergies, les deux courbes sont presque confondues, car l’énergie produite doit être immédiatement écoulée 2.
E7G1

La production atteint actuellement environ 3 400 milliards de m3 et augmente en moyenne de 70 millions de m3 par an depuis une vingtaine d’années, sans signe de ralentissement.

Selon certaines sources, en 2005 la production se répartissait ainsi :
-70% terrestre
-30% offshore

2.2 Production par grandes régions du monde.

Le graphique suivant montre comment se répartit la production sur la planète. Pour ne pas surcharger le graphique, on a divisé le monde en grandes régions ; le détail par pays est donné à la suite (les pays sont classés par ordre d’importance, avec leurs pourcentages de production au sein de la région considérée).
E7G2

-Moyen-Orient : Iran (29%), Qatar (28%), Arabie Saoudite (18%), Emirats Arabes Unis (10%), Oman
-Asie du sud-est : Chine (26%), Indonésie 16%), Malaisie (16%), Thaïlande (9%), Pakistan, Inde, Bangladesh
-Afrique : Algérie (39%), Egypte (27%), Nigéria (18%) -Amérique latine : Mexique (24%), Trinidad & Tobago (18%), Argentine (15%), Venezuela, Brésil, Bolivie
-Eurasie : Turkménistan (36%), Ouzbékistan (32%), Ukraine (11%), Kazakhstan (11%), Azerbaïdjan
-Espace économique européen 3 : Norvège (39%), Pays-Bas (25%), Royaume-Uni (21%)

On voit que d’une façon générale, les gisements de gaz naturel sont largement répartis sur tous les continents.

La production est en augmentation pratiquement partout dans le monde, avec une mention spéciale pour les États-Unis dont la production stagnait et qui s’est fortement redressée grâce à l’exploitation de gaz non traditionnel connu sous le nom de « gaz de schiste ».

La seule exception est celle de l’Europe, dont la production décline en raison de l’épuisement progressif des gisements traditionnels. Quoique la production européenne soit devenue modeste, il a paru intéressant de la détailler dans le graphique ci-dessous, car elle illustre dans une certaine mesure la notion de « pic gazier ».

Le cas de la production du Royaume-Uni est particulièrement représentatif de l’allure « en cloche » avec un pic de production en 2003.
Par contre, la production de la Norvège continue de progresser, et les Pays-Bas contrôlent leur production qui reste stable.
E7G3

2.3 Consommation par grandes régions du monde.

Le graphique ci-après montre la répartition des consommations entre grandes régions, avec un découpage mondial analogue à celui de la production.
E7G4

La consommation de gaz est presque partout en croissance, à l’exception de celle de l’Europe, qui a d’ailleurs stabilisé sa consommation toutes énergies confondues.

Contrairement au pétrole, dont les 2/3 de la production sont l’objet d’échanges internationaux à longues distances, la grande majorité du gaz naturel est consommée dans les pays producteurs ou échangée avec des pays voisins ou proches.

Les tableaux ci-après résument les principaux échanges extérieurs respectivement par gazoduc et sous forme liquéfiée. On voit notamment l’importance des échanges intra-européens et des importations de gaz russe.

E7G5

Les échanges à longues distances effectués par voie maritime représentent moins de 10% de la production.

2.4 Production mondiale cumulée.

D’après diverses sources, on estime que la production cumulée de gaz naturel en 1960 était d’environ 4 000 Gm3. En partant de cette valeur, on peut tracer la courbe ci-dessous.

E7G7

Fin 2013, la production cumulée est de 100 000 Gm3.

3. Les réserves.

3.1 Réserves prouvées.

La notion de réserves « prouvées » correspond aux réserves détectées et exploitables selon des technologies existantes ou en cours de mise au point. BP publie la série chronologique des réserves depuis 1980. En utilisant quelques valeurs complémentaires empruntées à d’autres sources et en interpolant entre ces valeurs, il est possible de reconstituer un historique des réserves prouvées en fins d’années. C’est l’objet du graphique ci-dessous.

E7G8

Les ressources présumées de gaz naturel peuvent être évaluées en additionnant chaque année les volumes déjà produits et les réserves estimées.

- En 1960, la production cumulée était de 4 000 Gm3 et les réserves étaient estimées à un peu moins de 20 000 Gm3, soit 4 000 + 20 000 = 24 000 Gm3 de capacité totale. Mais à l’époque, on estimait déjà plausibles des ressources ultimes comprises entre 100 et 150 000 Gm3. L’ère du gaz naturel n’en était qu’à ses débuts.

- En 2000, la production cumulée était de 65 000 Gm3 et les réserves étaient estimées à 140 000 Gm3, soit 65 000 + 140 000 = 205 000 Gm3 de capacité totale supposée.

- En 2013, la production cumulée a atteint 100 000 Gm3 et les réserves sont estimées à 185 000 Gm3, soit 100 000 + 185 000 = 285 000 Gm3 de capacité totale supposée.

Cette croissance continue est déjà un élément d’information utile à connaître.

Une autre manière de présenter l’évolution des réserves estimées est d’utiliser le ratio : « rapport entre réserves estimées en fin d’année et production de la même année », soit R/P, ce qui donne la durée qui resterait à courir jusqu’à épuisement des réserves dans le cas – tout théorique évidemment – où la production se stabiliserait au niveau actuel 4.

Voici la courbe des rapports R/P depuis l’origine.

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Cette courbe semble s’être stabilisée à environ 55 années de production, valeur qui était déjà atteinte en 1990 (la pointe de 2001 était due à une forte réévaluation des réserves du Qatar).

3.2 Conclusions

La production de gaz naturel a commencé de façon intensive il y a une cinquantaine d’années. Depuis lors, elle n’a cessé de progresser de façon régulière, sans aucune inflexion. Les réserves « prouvées » augmentent de façon tout aussi régulière, au fur et à mesure de la découverte de nouveaux champs et de la mise au point de nouvelles techniques d’extraction. Le rapport entre les réserves prouvées et les productions annuelles, exprimé en nombre d’années de « survie », oscille entre 50 et 60 ans… depuis trente ans.

Le gaz naturel jouit d’une grande faveur publique, pour différentes raisons dont sa commodité d’utilisation, son pouvoir calorifique élevé et ses faibles rejets de produits indésirables (inférieurs à ceux des autres énergies fossiles). Cette circonstance se traduit par une demande accrue et constitue une incitation puissante à la poursuite de la production et à la recherche de nouveaux gisements.

Il existe certes des régions privilégiées, mais les gisements gaziers sont bien répartis sur toute la planète, et notamment dans des pays encore défavorisés et qui ont besoin d’une énergie proche et abondante. De nouvelles découvertes sont régulièrement annoncées, que ce soit au large des côtes ou au sein des massifs sédimentaires, même si dans ce domaine l’exagération initiale et la déception ne sont pas rares. Des zones entières restent encore à explorer 5. Certaines sources officielles estiment que les ressources ultimes récupérables pourraient représenter deux ou trois fois les réserves « prouvées » actuelles.

Bref, la fin du gaz ne semble pas constituer une hypothèse de travail vraisemblable ni utile dans l’immédiat.

1 Les anciens se rappellent les « usines à gaz », vastes réservoirs cylindriques noirs qui parsemaient le territoire.
2 Les délais de transport et les stocks sont à peu près constants et n’apparaissent pas dans les courbes de flux.
3 L’Espace économique européen (EEE) se compose de l’Union européenne, plus la Norvège et l’Islande ; par commodité, on a ici englobé la Suisse dans cet ensemble (la Suisse fait partie de l’association de libre-échange – AELE – mais pas de l’EEE).
4 Tout théorique pour deux raisons principales : d’une part, si l’on en juge par la tendance passée, la production va continuer à croître dans les années qui viennent ; d’autre part la production diminue lorsque l’on a passé le « pic » et que l’on s’approche de l’épuisement du gisement.
5 Dont les zones arctiques, qui suscitent bien des convoitises.