COMMENTAIRES SUR LE CHARBON.

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1. Introduction.

Depuis quelques décennies le « pic pétrolier » et l’épuisement des ressources pétrolières sont régulièrement annoncés comme imminents, puis régulièrement repoussés dans le temps. Par contre, l’épuisement des ressources en charbon apparaît généralement comme une perspective lointaine, quoique des « pics charbonniers » (peak coal) et des épuisements aient été observés au niveau de certains pays (France, Royaume-Uni, Japon, Corée).

La présente note a pour objet de fournir quelques éléments d’appréciation sur ce sujet en récapitulant des données historiques empruntées notamment aux sources suivantes :

  • British Petroleum (BP) : Statistical Review of world energy, édition 2014 (les séries de consommation commencent en 1965 et les séries de production en 1981)
  • World energy council
  • US Geological Survey
  • David Rutledge (université de Californie)
  • Université d’Uppsala

2. Production et consommation de charbon.

2.1 Production et consommation annuelles mondiales.

Contrairement aux ressources pétrolières, les ressources en charbon sont relativement bien réparties dans le monde. L’équilibre entre la production et la consommation peut souvent être assuré régionalement. L’Amérique du nord, la Chine et l’Inde assurent une part importante de leurs propres consommations ; il en va de même pour l’Allemagne, la Pologne, la Roumanie, la République tchèque et l’Ukraine. Certains pays sont fortement exportateurs, comme l’Afrique du sud, l’Indonésie ou l’Australie.

Le graphique suivant représente l’évolution de la production et de la consommation mondiales depuis 1965 1.
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Une tonne métrique de charbon, au niveau global, équivaut à environ 0,5 tonnes équivalent pétrole (tep), mais ce ratio peut varier considérablement d’un site de production et d’un pays à un autre en raison de la grande diversité des pouvoirs calorifiques, depuis le lignite brute (0,33 tep/t) jusqu’à l’anthracite (0,67 tep/t). On ne s’étendra pas ici sur cette question 2.

On peut constater visuellement qu’il y a eu en général une adéquation satisfaisante entre offre et demande mondiale : on ne note sur longue période ni surproductions ni pénuries durables : la demande globale des consommateurs a déterminé l’offre des producteurs qui s’est adaptée sans difficultés.

La production annuelle, croissante jusqu’en 1989, a subi en 1990 les conséquences durables du démantèlement de l’Union soviétique. La forte reprise à partir de 2002 correspond à l’époque du décollage économique de la Chine.

Actuellement, la production s’établit à environ 8 milliards de tonnes par an (4 milliards de tep).

2.2 Productions annuelles par grandes régions.

Le graphique ci-dessous montre les productions des pays ou des régions qui totalisent environ 95% du charbon mondial. Comme la Chine en produit à elle seule près de la moitié (47%), on lui a affecté l’échelle de gauche pour plus de clarté. Les productions sont ici exprimées en tonnes équivalent pétrole.
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La production est largement dominée, outre la Chine, par six grands producteurs qui par leur diversité géographique (tous les continents sont représentés) illustrent bien la répartition relativement équilibrée des ressources.

On voit notamment que l’Union européenne, qui a connu un « pic charbonnier » en raison de l’ancienneté de ses exploitations, reste encore un producteur non négligeable grâce aux gisements de lignite de sa partie est. Cette production est essentiellement à usage interne.

2.3 Consommations annuelles par grandes régions.

Le graphique ci-dessous montre comment la consommation en tonnes équivalent pétrole s’est répartie, d’une part entre les pays de l’OCDE 3 et le reste du monde, d’autre part dans quelques grandes régions.

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Sans surprise, on constate que les pays de l’OCDE, dont l’Amérique du nord et l’Europe, ont stabilisé puis fait décroître leurs consommations, notamment grâce aux politiques d’économie d’énergie, et que la consommation mondiale est tirée par le reste du monde, dont en premier lieu la Chine (le quart de la consommation mondiale).

2.4 Production mondiale cumulée.

La production (et la consommation) de charbon n’a commencé de façon significative qu’au début de l’ère industrielle, soit vers le début du 19ème siècle.
Pour les données historiques antérieures à 1965, on s’appuie sur les travaux de David Rutledge (université de Californie) qui fournit des séries détaillées. Selon ce spécialiste, les productions cumulées étaient les suivantes (Gt : milliards de tonnes de charbon – et non de tep) :

  • en 1900 :  19 Gt (production annuelle de l’époque environ 0,8 Gt)
  • début 1965 : 117 Gt (production annuelle de l’époque environ 2,7 Gt)

On partira de cette dernière estimation, en utilisant à partir de 1965 les séries en tonnes de l’USGS et de BP.

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Le monde aurait donc, fin 2013, extrait environ 350 milliards de tonnes de charbon depuis le début de l’ère industrielle.

3. Les réserves et les perspectives.

3.1 Réserves « prouvées ».

En matière de charbon comme de pétrole, on a l’habitude de parler de « réserves prouvées », cette dernière notion correspondant aux réserves détectées et exploitables selon des technologies existantes ou en cours de mise au point.

Ces réserves sont très mal connues et c’est encore peu dire, de sorte que le terme de « prouvées » est certainement excessif. BP world energy se contente de reproduire chaque année les données les plus récentes de World energy council, qui ne sont elles-mêmes mises à jour qu’à intervalles très irréguliers : on peut ainsi trouver plusieurs années de suite exactement les mêmes chiffres ce qui est évidemment invraisemblable.

Le graphique ci-dessous fournit une courbe d’évolution depuis 1974, telle qu’on peut la reconstituer tant bien que mal. Les réserves sont exprimées en tonnes, car la conversion en tep serait un raffinement illusoire.
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Depuis une dizaine d’années, les réserves sont restées estimées à environ 900 milliards de tonnes.

Récapitulons d’après ce qui précède :

En 1974, la production cumulée était de 150 Gt et les réserves étaient estimées à 600 Gt, soit 150 + 600 = 750 Gt de capacité totale.
En 2013, la production cumulée a atteint 350 Gt et les réserves sont estimées à 900 Gt, soit 350 + 900 =1 250 Gt de capacité totale.
La capacité totale estimée a donc été multipliée par 1,7 en quarante ans.

Une autre manière de présenter l’évolution des réserves estimées est d’utiliser le ratio : « rapport entre réserves estimées en fin d’année et production de la même année », désigné par R/P, ce qui donne la durée qui resterait à courir jusqu’à épuisement des réserves dans le cas – tout théorique évidemment – où la production se stabiliserait au niveau de l’année considérée.

A défaut de produire des séries dans son rapport annuel, BP fournit sur son site internet un graphique interactif donnant le rapport R/P depuis 1993. On peut par ailleurs calculer ce rapport pour les années 1974 à 1992 avec les données retracées précédemment. Le graphique ci-dessous retrace l’évolution des rapports R/P depuis 1974. Fin 2013, le rapport R/P est de 113 ans.

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3.2 Conclusions provisoires.

Le monde disposerait donc, au mieux, d’un peu plus d’un siècle de réserves.

Or depuis 2002, la consommation de charbon (ainsi que la production) augmente chaque année linéairement d’environ 0,3 milliards de tonnes 4. A ce rythme, la consommation serait de 11 Gt dans dix ans, et sauf réévaluation des réserves dans l’intervalle, il resterait encore 90 ans de réserves. En prolongeant encore de dix ans la courbe de consommation et toujours sans réévaluation, on aboutirait vers 2035 à environ 70 ans de réserves.

Ce genre de prospective est particulièrement hasardeux ; on retiendra que la question de l’épuisement du charbon ne devrait se poser que vers la fin du 21ème siècle, ce qui laisse du temps pour y réfléchir.

Ceci d’autant plus que deux types d’évolution peuvent se produire dans l’avenir.

D’une part, les « réserves prouvées » ont toutes les chances d’augmenter. World energy council utilisait autrefois la notion de « ressources », plus géologique que technologique. En simplifiant, il s’agirait de gisements repérés ou probables, actuellement inaccessibles du fait notamment de leur profondeur mais qui pourraient devenir exploitables avec des techniques adaptées. Il est notamment fait état de ces ressources dans un tableau d’un rapport de l’Université d’Uppsala 5. Elles étaient estimées en 1995 par le WEC à environ 10 000 milliards de tonnes, soit 10 fois les « réserves prouvées » 6.

D’autre part ; l’augmentation linéaire de la consommation de charbon ne saurait se poursuivre indéfiniment. En effet, comme dans de nombreux autres domaines de la consommation et du mode de vie, il est probable que l’ensemble du monde se rapprochera peu à peu des standards occidentaux. A moyen ou long terme la consommation des pays en développement, et donc la consommation mondiale, devrait donc progressivement tendre vers une stabilisation.

Enfin, les ressources charbonnières étant géographiquement bien réparties, il ne semble pas que les ressources puissent être l’objet de convoitises ou de conflits comme c’est le cas pour le pétrole.

On conclura cet examen sommaire sur cette note optimiste. En attendant, on pourra lire ou relire « The Coal Question » de Jevons (1865) livre prophétique s’il en fut.

1 La question des unités est une source de confusion. BP exprime les productions en tonnes et en tonne-équivalent pétrole (tep, ou toe en anglais), la consommation en tep et les réserves en tonnes. Les Américains utilisent parfois la « short ton » de 0,907 tonnes métriques et la tonne « standard coal equivalent », étalon par rapport auquel sont définies les différentes qualités de charbon.
2 En gros, le pouvoir calorifique dépend de la concentration en carbone, qui augmente avec l’âge du gisement, depuis le carbonifère jusqu’au quaternaire. Plus cette concentration est élevée, plus la combustion produit d’énergie et moins elle émet de déchets.
3 Rappelons que l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) rassemble 34 États parmi « les plus avancés », dont toute l’Amérique du nord et presque toute l’Union européenne (mais pas la Russie).
4 Environ 5 milliards de tonnes en 2002 et 8 milliards de tonnes en 2013 ; donc en réalité 0,27 Gt par an.
5 « Global coal production outlooks based on a logistic model », Höök et al. 2010.
6 Pour mémoire, le rapport « Meadows » de 1972 titré « Halte à la croissance ? » dans l’édition en français (page 174) mentionnait comme « réserves globales connues » le chiffre de 5 000 milliards de tonnes.