Quelles implications ?
1. Introduction.
On sait qu’en vue de la conférence de Paris fin 2015 (« conférence des parties » ou COP n°21), chaque pays du monde est invité à présenter ses propositions de réduction de ses émissions de gaz dits « à effet de serre », en particulier le CO2. L’horizon « contractuel » est l’année 2030. Ces propositions sont connues sous la dénomination anglaise Intended Nationally Determined Contribution (INDC). Le 30 juin 2015, la Chine a rendu publiques ses propositions.
Un centre d’études officiel chinois (National centre for climate change strategy, NCSC) en a fait une analyse d’une dizaine de pages, publiée le 2 juillet 2015 1. L’analyse du NCSC est particulièrement complète et claire, comportant nombre de tableaux et graphiques explicatifs 2. Sans entrer dans le détail de ce document, on examine ci-après les hypothèses qui ont été prises en compte dans les projections chinoises, puis on précise leur position par rapport à une perspective historique.
Les données historiques utilisées sont empruntées à la base de données de la Banque mondiale 3, complétées pour les données énergétiques les plus récentes par les statistiques de BP 4.
Cette analyse est importante car la Chine est de loin le principal pays émetteur de CO2 : soient 27,5% des émissions mondiales en 2014, pourcentage qui continue à augmenter. Par comparaison, les USA émettent 17% et l’ensemble de l’Union européenne 10,5% 5.
Par conséquent, les choix de la Chine influent déjà et influeront de façon significative sur les émissions mondiales.
2. Les engagements de la Chine en valeurs relatives.
L’analyse NCSC comporte le tableau essentiel reproduit textuellement ci-dessous.
(les émissions de CO2 indiquées dans la dernière ligne sont celles qui résultent de la consommation d’énergie, à l’exclusion notamment de celles relatives à l’utilisation des sols).
Comme on l’a dit, l’année conventionnelle des engagements est l’année 2030.
L’année conventionnelle de référence est l’année 2005. Les facteurs 6 sont donc exprimés par rapport à cette base, ce sont les suivants :
- PIB par habitant qui exprime le niveau de vie général (par exemple en dollars US constants) ;
- consommation d’énergie par unité de PIB (par exemple en tonne équivalent pétrole, tep) qui exprime à la fois le confort énergétique et l’optimisation dans l’utilisation de l’énergie ;
- contenu en CO2 de l’unité d’énergie (tonne de CO2 par tep) qui exprime notamment le degré de recours aux énergies fossiles.
Les rapports entre ces trois facteurs sont faciles à comprendre, on ne les détaillera pas ici.
Nous avons intercalé dans le tableau ci-dessous des facteurs intermédiaires, calculés par nos soins.
De ce tableau, on retiendra pour le moment les enseignements suivants :
- La consommation d’énergie continue à augmenter jusqu’en 2040. En 2050, elle est multipliée par 2,2 par rapport à 2005.
- Le contenu en CO2 de l’économie (CO2 par unité de PIB) en 2030 est au facteur 34,5 (soit 80 x 43/100) : il est donc supposé être réduit d’environ 100 – 34,5 # 65% entre 2005 et 2030 ; on se rappelle que la Chine avait annoncé « entre 60% et 65% » de réduction. Il s’agit donc ici du maximum de la fourchette.
- Les émissions de CO2 sont multipliées par 2 en 2030 par rapport à celles de 2005. Elles marquent alors un maximum et décroissent ensuite. C’est ce que la Chine avait en effet annoncé. Les émissions retrouvent leur niveau de 2005 entre 2045 et 2050.
Les deux graphiques suivants représentent l’évolution de ces différents paramètres (les valeurs de 2025, 2035 et 2045 sont des interpolations faites par nous pour la lisibilité des graphiques).
Noter l’interruption de croissance de la population en 2030 et la décroissance en 2040.
Le « pic » de CO2 en 2030 est particulièrement marqué.
3. Engagements de la Chine au regard des données historiques.
3.1 Principes.
On examine maintenant comment les engagements de la Chine se situent dans une perspective historique, par rapport aux évolutions constatées de différents paramètres entre 1970 et 2014.
Dans les tableaux ci-après, on a indiqué les valeurs de ces paramètres aux dates suivantes:
- en 2014, dernière année connue
- en 2005, année de base des engagements
Puis, en appliquant les coefficients du tableau INDC aux valeurs réelles de 2005 :
- en 2030, horizon des engagements
- en 2050, année ultime.
3.2 Facteurs démographiques et économiques.
Le graphique ci-dessous illustre ces évolutions en les rattachant aux données historiques.
- La population en 2030 résulte d’une simple prolongation de tendance ; par contre, la brusque stabilisation est artificielle et improbable ;
- Le PIB par habitant continuerait à croître selon une tendance qui s’est amorcée depuis les années 2000 et atteindrait 9 000 dollars en 2030. A titre de comparaison, 9 000 dollars par habitant est sensiblement le PIB actuel (2014) de pays comme le Chili, la Turquie ou le Mexique. Cette valeur paraît plausible.
- Le PIB total est le produit des deux paramètres précédents.
3.3 Paramètres énergétiques.
Le graphique ci-dessous illustre ces évolutions en les rattachant aux données historiques.
- Énergie par unité de PIB : la valeur de 2030 (0,34) n’apparaît pas comme particulièrement ambitieuse : elle est très supérieure à celle observée actuellement dans les pays déjà cités, Chili, Turquie et Mexique (environ 0,20 en 2011). Par contre, la valeur de 2050 (0,14) approcherait la valeur actuelle des pays de l’OCDE (0,13) et de l’Union européenne (0,11).
- Émissions de CO2 par unité d’énergie (recours aux énergies fossiles pour la production d’énergie). La valeur de 2,61 en 2030 correspondrait à un recours aux énergies fossiles se situant dans la moyenne actuelle. En effet, il est actuellement de 2,58 pour le monde entier, 2,42 pour les États-Unis, 2,33 pour les pays de l’OCDE, 2,15 pour l’UE (et 1,34 pour la France grâce au nucléaire).
La valeur de 1,27 en 2050 correspondrait à une rupture de tendance marquée à partir de 2030. - Émissions de CO2 par unité de PIB : c’est le produit des deux paramètres précédents.
3.4 Émissions totales de CO2 dues à l’énergie.
Ces émissions résultent du produit du PIB par le contenu en CO2 du PIB. Les émissions de CO2 utilisées ci-dessous sont celles données par BP : elles diffèrent légèrement des données de la Banque mondiale, mais cette différence n’altère pas l’allure de l’évolution.
Le « pic » de 2030 résulte des deux ruptures de tendances :
- d’une part dans l’évolution de la population (paramètre relativement peu sensible car la croissance annuelle est devenue modeste),
- d’autre part et surtout dans le contenu en CO2 de la consommation d’énergie, qui décroîtrait très fortement à partir de 2030 et passerait de 2,61 en 2030 à 1,27 en 2050.
A titre de simples ordres de grandeur, le tableau ci-dessous fournit pour un certain nombre de pays européens les valeurs actuelles (en 2011) de ce facteur (source Banque mondiale) et du pourcentage d’énergies fossiles dans la composition énergétique (source BP).
On voit que si le chiffre de 2030 (2,61) n’est pas inaccessible, celui de 2050 (1,27) semble beaucoup plus problématique : il faudrait que l’énergie fossile chinoise ne représente en 2050 que moins de 50% de leur composition énergétique.
On ne poussera pas plus loin cette analyse.
4. Conclusions.
La Chine avait annoncé à différentes reprises sa volonté de réduire de 60% à 65% à l’horizon 2030 le contenu en CO2 de son économie (mesurée par son produit intérieur brut). Elle avait aussi précisé que ses émissions de 2030 devraient constituer un maximum historique et décroître ensuite.
Dans le cadre de l’INDC (Intended Nationally Determined Contribution) la Chine a récemment précisé les hypothèses prises en compte dans ses simulations. Ces hypothèses retiennent un objectif pour 2030 de réduction de 65% du contenu en CO2, c’est-à-dire le maximum de la fourchette annoncée.
L’évolution des différents paramètres démographiques, économiques et énergétiques pris en compte entre l’année de référence de 2005 et les objectifs de 2030 apparaît comme une prolongation des tendances de la dernière décennie, sans rupture marquée 7. L’évolution des émissions de CO2 en résultant peut être considérée comme réalisable sans trop de difficultés.
Il en résulterait d’ailleurs, non une réduction des émissions de la Chine comme certains s’en étaient hâtivement fait l’écho, mais une multiplication par 2 de ces émissions entre 2005 et 2030 (et par 1,3 entre 2014 et 2030), et encore dans l’hypothèse maximaliste des 65% de réduction 8 c’est-à-dire que ce facteur d’augmentation est un minimum.
Comme la Chine émet actuellement 27,5% des émissions mondiales de CO2 et que cette proportion continue à augmenter, la perspective de cette augmentation substantielle n’est pas sans conséquences sur la réalisation des objectifs ambitieux de réduction que la communauté internationale a cru devoir se fixer pour 2030.
Au-delà de l’horizon 2030, les hypothèses deviennent hasardeuses. En effet, si l’objectif de la Chine de plafonner ses émissions vers 2030 n’est peut-être pas hors d’atteinte, celui de la réduction drastique annoncée au-delà de cet horizon semble illusoire 9.
1 Consultable sur http://www.ncsc.org.cn/article/yxcg/ir/201507/20150700001490.shtml
2 On passera sur le fait qu’une grande partie du rapport est consacrée à des plaidoyers pro domo, à des réserves et à des restrictions mentales, et on se concentrera sur les données principales.
3 http://data.worldbank.org/data-catalog/world-development-indicators
4 http://www.bp.com/content/dam/bp/pdf/Energy-economics/statistical-review-2015/bp-statistical-reviewof-world-energy-2015-full-report.pdf . Disponibles en version Excel. Les données énergétiques diffèrent légèrement de celles de la Banque mondiale.
5 Et la France tout juste 1% : vous avez bien lu…
6 Ces facteurs sont connus sous la dénomination de « facteurs de Kaya, du nom d’un énergéticien japonais.
7 Une sorte de « Business as usual » en somme.
8 Dans l’hypothèse 60%, il est facile de calculer que les émissions de 2030 seraient 2,3 fois celles de 2005.
9 Voire provocateur.