LE CO2, LA CHINE ET SES ENGAGEMENTS POUR 2030.

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Quelles implications ?

1. Introduction.

On sait qu’en vue de la conférence de Paris fin 2015 (« conférence des parties » ou COP n°21), chaque pays du monde est invité à présenter ses propositions de réduction de ses émissions de gaz dits « à effet de serre », en particulier le CO2. L’horizon « contractuel » est l’année 2030. Ces propositions sont connues sous la dénomination anglaise Intended Nationally Determined Contribution (INDC). Le 30 juin 2015, la Chine a rendu publiques ses propositions. Lire la suite…

CONCENTRATIONS DE CO2 DANS L’ATMOSPHÈRE. ÉLÉMENTS DE PROSPECTIVE.

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1/ Introduction.

Dans une chronique précédente (« L’énergie dans le monde, synthèse »), on avait retracé l’évolution des productions, des consommations et des ressources d’énergies dans le monde, ainsi que des émissions et des concentrations de dioxyde de carbone CO2 dues aux énergies fossiles. On trouvera dans la présente note des informations complémentaires permettant d’éclairer les tendances à venir, et une esquisse de prospective.

La source d’information principale sera le Carbon Dioxide Information Analysis Center (CDIAC), relié au département de l’énergie (DOE) des Etats-Unis 1.
Le CDIAC fournit pour chaque année un état et un historique des émissions de CO2 dans le monde 2. Son dernier Global Carbon Budget a été publié en septembre 2014. Les séries vont de 1960 à 2013 3.
Les chiffres donnés par le CDIAC résultent de calculs et non de mesures in situ. On verra toutefois qu’ils se recoupent convenablement avec les observations.

2/ Origines du CO2 anthropique.

Le CDIAC distingue deux types de sources : celles qui proviennent de l’utilisation des ressources fossiles et celles qui résultent de changements dans l’affectation des terres (déforestations, cultures, jachères, etc).

2.1 Produits fossiles.

Les émissions dues aux produits fossiles sont réparties en cinq catégories : les trois combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz), la production de ciment 4, les émissions des torchères. La répartition entre ces cinq sources est retracée par le graphique ci-dessous (année 2013, milliards de tonnes ou Gt, et pourcentages).

Émissions mondiales de CO2 en 2013 (Gt de CO2 et pourcentages) source CDIAC


E9G1

Les émissions fossiles étaient en 2013 de 36,15  Gt de CO2, dont 33,9 Gt pour les trois combustibles fossiles.

2.2 Utilisation des sols.

Ces émissions étaient en 2013 de 3,25 Gt.

2.3 Total.

Les émissions anthropiques de CO2 étaient donc en 2013 estimées à 36,15 + 3,25 = 39,4 Gt, dont 33,9 Gt soient 86% dues aux seuls combustibles fossiles.

3/ Destinations du CO2 anthropique.

Cet excédent de CO2 ne reste pas en totalité dans l’atmosphère. Une partie des émissions est absorbée, à part à peu près égales, par la végétation terrestre qui s’en nourrit, et par les océans (dissolution dans l’eau 5 et absorption par la végétation marine). On donne le nom de « puits » de carbone à ces absorptions.

Pour 2013 pris comme exemple, on obtient selon le CDIAC le bilan suivant :

  • émissions fossiles 36,15
  • utilisation des sols 3,25
    • Émissions totales 39,4 Gt
  • puits océaniques : -10,5 Gt
  • puits terrestres : -9,2 Gt
    • Puits totaux : -19,7 Gt
      • Reste dans l’atmosphère : 19,7 Gt

 Ne serait donc restée dans l’atmosphère en 2013 qu’environ la moitié des émissions anthropiques 6

4/ Bilans annuels du CO2 anthropique.

Les graphiques ci-dessous montrent l’évolution de ces différents paramètres depuis 1960 : émissions, puits, et bilan émissions moins puits.

Émissions.

E9G2

Sur les vingt ou trente dernières années, les émissions ont augmenté en moyenne d’environ 0,6 milliards de tonnes par an. La courbe présente des irrégularités dues aux vicissitudes économiques. Par exemple, au début des années 2000 on discerne, après une baisse momentanée, un redressement qui résulte probablement du décollage économique de la Chine et dans une moindre mesure de l’Inde 7.

Puits

E9G3

L’absorption par les océans croît relativement régulièrement alors que celle des puits terrestres croît en tendance mais avec des variations annuelles considérables (ce qui ne facilite pas la lecture des courbes).

Bilans émissions / puits.

E9G4

La proportion de CO2 qui subsiste dans l’atmosphère est d’environ 45% des émissions, valeur moyenne observée depuis plus de trente ans. Les puits ont donc absorbé 55% des émissions.

5/ Émissions calculées et concentrations de CO2.

 

Les concentrations effectives de CO2 dans l’atmosphère sont depuis 1959 mesurées par la NOAA 8 à l’observatoire de Mauna Loa (Hawaï). On peut donc comparer les évolution annuelles de la masse de CO2 subsistant dans l’atmosphère (calculées) avec les évolution annuelles des concentration de CO2 dans l’atmosphère (mesurées) 9.

E9G5

Les échelles ont été choisies de façon à faire approximativement coïncider les origines et extrémités des deux courbes. Malgré les inévitables écarts dues à l’hétérogénéité des sources, on ne peut manquer de constater l’analogie entre les deux courbes 10.
Cette analogie est plus nette si l’on compare cette fois la masse cumulée de CO2 anthropique restée dans l’atmosphère avec les concentrations observées depuis 1960.

E9G6

Pour la totalité de la période de 1960 à 2013, on obtient les chiffres suivants :

-masse de CO2 anthropique émise :
-masse de CO2 anthropique restée dans l’atmosphère :
-augmentation de concentration en CO2 : 397 – 317 =
1 407
618
80
Gt
Gt (un peu moins de 45%)
ppmv

Par conséquent, une émission de 1 407 / 80 = 17,5 milliards de tonnes de CO2, entraîne une augmentation de concentration dans l’air de ppmv (on utilisera ce ratio dans la suite).

6/ Contexte démographique et économique mondial.

Pour rattacher les données précédentes à la macro-économie, on se référera à des séries démographiques et économiques relatives au monde entier pour la période 1960-2013. Les données proviennent de la Banque mondiale 11.

Population.
La population est passée entre 1960 et 2013 de 3 milliards à 7,1 milliards d’habitants. La croissance d’une année à l’autre, qui était supérieure à 2% dans les années 1960, est actuellement d’environ 1,1 %. Sur les trente dernières années, la population s’est accrue à peu près linéairement d’environ 79 millions d’habitants par an.

E9G7

Émissions de CO2 par habitant.
Toutes sources confondues, les émissions ont varié entre 4,6 et 5,6 tonnes par habitant et par an ; après une baisse irrégulière de 1970 à 2001, elles sont en augmentation depuis l’année 2001.

E9G8

Produit intérieur brut.
Le PIB mondial, exprimé en dollars US constants (base 2005) 12, est passé entre 1960 et 2013 de 9 000 à 56 000 milliards de dollars.
Le PIB par habitant croît à peu près linéairement à raison d’environ 90 dollars par an. Il est actuellement de 7 900 dollars.

E9G9

Émissions de CO2 par unité de PIB.
Ce ratio, qui exprime le contenu du PIB en CO2, reflète à peu près fidèlement la productivité énergétique de l’économie mondiale. Il est en effet le produit du contenu de l’énergie en CO2 (tonne de CO2 par tep ou kWh) par le contenu du PIB en énergie (tep ou kWh par unité de PIB).
Le contenu de l’énergie en CO2 est pratiquement constant depuis trente ans en raison de la prépondérance des énergies fossiles (environ 2,9 t CO2 par tep).
Le contenu du PIB en énergie a été régulièrement décroissant entre 1960 et 2000, mais marque depuis lors une stabilisation (environ 0,24 tep pour 1 000 dollars).
Il en résulte que le contenu du PIB en CO2, décroissant entre 1960 et 2000, est stabilisé depuis lors à environ 2,9 x 0,24=0,70 tonnes de CO2 pour 1 000 dollars US de PIB.

E9G10

7/ Essai de prospective.

7.1 Principes.

A l’aide des éléments macro-économiques précédents, on peut tenter de dégager une première idée de l’évolution future de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, en tenant compte des remarques suivantes.
-La relative régularité des courbes présentées traduit la robustesse des tendances, explicable par les masses et les inerties considérables qui sont en jeu. Les irrégularités momentanées liées aux vicissitudes économiques (chocs et contre-chocs pétroliers et autres crises) sont corrigées dans les années qui suivent.
-Certaines courbes d’évolution ont des allures quasi-linéaires quand on les observe sur longues périodes. Les évolutions d’une année à l’autre sont alors décroissantes en pourcentages et constantes en valeurs absolues.
-Les tendances démographiques et macro-économiques des quelques trois ou quatre décennies qui nous séparent de cet horizon sont déjà largement engagées en raison des inerties rappelées précédemment. On ne risque donc pas grand-chose en prolongeant certaines droites de tendance caractérisées 13.

7.2 L’année 2050.

-Population. Au rythme actuel, la population s’accroitrait de 37 ans x 79 millions, soit 2,9 milliards d’habitants de plus, ce qui amène à environ 10 milliards d’habitants en 2050.
-PIB par habitant. Il continuerait à croître de 90 dollars par an, et atteindrait 7 900 + 37 x 90 soit environ 11 000 dollars.
-PIB total. Il serait alors de l’ordre de 10 x 11 000 = 110 000 milliards de dollars.
Ces hypothèses serviront de base aux estimations suivantes. Elles supposent des augmentations progressives à l’image des décennies passées, sans rupture dans les croissances démographique et économique.

Pour passer de ces données macro-économiques aux émissions de CO2, on choisira comme variable le contenu du PIB en CO2 qui semble mieux adapté que les émissions par habitant (relativement erratiques et purement démographiques).

L’évolution future de ce ratio est incertaine. Les gains de productivité énergétique vont très probablement se poursuivre. Le contenu du PIB en CO2 devrait donc continuer à baisser progressivement à partir de la valeur actuelle de 0,70 tonnes pour 1 000 dollars. Mais l’absence de tendance discernable dans les quinze dernières années rend les hypothèses hasardeuses. On raisonnera donc sur une fourchette de 0,70 à 0,50 tonnes pour 1 000 dollars en 2050, c’est à dire entre le maintien de la valeur actuelle (peu probable) et une diminution significative mais relativement limitée. Ces hypothèses impliquent qu’il n’y ait pas de rupture dans la répartition entre les différentes sources d’énergie. En particulier, les consommations d’énergies fossiles sont supposées continuer à augmenter régulièrement 14, même si des substitutions partielles par d’autres types d’énergies interviennent dans l’intervalle.

Tous calculs faits, on obtient ainsi le tableau suivant.

E9G11

En définitive, le choix de l’hypothèse sur le contenu du PIB en CO2 ne se traduit pas par des différences considérables dans les concentrations atteintes en 2050 : dans les trois exemples considérés, elles se situeraient autour d’une valeur moyenne de l’ordre de 510 ppmv, avec un débattement inférieur à ±2,5%.

7.3 Évolution entre 2013 et 2050.

A titre de simulation, les deux graphiques ci-dessous montrent comment évolueraient approximativement les émissions 15 et les concentrations, dans l’hypothèse moyenne de 0,60 tonnes de CO2 pour 1 000 dollars de PIB en 2050 (contre 0,70 en 2013).

E9G12

Ces courbes ne sont données qu’à titre d’illustration 16. Dans cette hypothèse moyenne, la concentration en CO2 augmenterait sur la période d’environ 3 ppmv par an en moyenne, ce qui semble un peu élevé au vu de la tendance des vingt dernières années (chapitre 5) mais reste plausible.

8. Conclusions.

En définitive, il semble que l’on puisse tenir pour plausible, en 2050, une concentration de CO2 peu différente de 500 ppmv, dans l’hypothèse la plus probable d’une poursuite des tendances antérieures pendant encore quelques décennies.

Les estimations précédentes ne constituent qu’un dégrossissage basé sur des données globales. Il est loisible à chacun d’élaborer ses propres projections, si nécessaire en multipliant les variables et les hypothèses. Il n’est pas certain que la vraisemblance gagne à la profusion de « scénarios » incertains par définition.

On connaît les causes de la croissance des émissions de CO2 anthropiques, et surtout des émissions dues à la combustion des énergies fossiles. Celles-ci, on l’a vu, représentent près des 9/10èmes des émissions anthropiques, le reste étant dû à la fabrication du ciment et aux modifications dans l’utilisation des sols.

On rappellera seulement que le demi-siècle sous revue a connu, notamment grâce justement aux énergies fossiles, des avancées spectaculaires en matière de production industrielle, d’énergie électrique, de production agricole, de niveau de vie, de santé publique, d’espérance de vie.
Ces progrès se sont propagés de proche en proche dans le monde entier, mais la majorité des habitants de la planète n’a pas encore accédé – ou pas complètement – à ce niveau de prospérité inédit dans l’Histoire.

L’écart de développement entre les pays avancés et le reste du monde est encore très important : l’accès à l’électricité en est un exemple bien connu ; il n’est pas le seul mais il est fondamental.

Les pays n’appartenant pas à l’OCDE comptent actuellement par rapport au monde entier 73% de la population mais seulement 29% du PIB global 17. Ces pays n’auront de cesse de s’approcher des standards de vie de l’Occident. Il est facile de voir que cet objectif ne sera pas encore atteint en 2050, ce qui justifie les hypothèses de poursuite des tendances pour les quelques décennies à venir.

Les pays avancés, dont le poids démographique et économique relatif ne fera que décliner, n’ont aucun droit de regard sur cette évolution, et auront de moins en moins le pouvoir de l’enrayer, le voudraient-ils.

1 http://cdiac.ornl.gov/GCP/carbonbudget/2014/
2 Les séries du CDIAC sont exprimées en masses de Carbone. On les a converties en masses de CO2 (rapport des masses moléculaires, soit un multiplicateur de 3,664 selon le CDIAC).
3 Dans la suite, nous donnons les chiffres avec des décimales simplement pour la cohérence des calculs. Il va sans dire que tous ces chiffres sont approximatifs, comme l’indique d’ailleurs le CDIAC dans ses publications.
4 Le calcaire CO3Ca se transforme en chaux CaO selon la relation (très simplifiée) CO3Ca→CaO + CO2.
5 On rappelle que la solubilité du CO2 dans l’eau est inversement proportionnelle à la température, toutes choses égales par ailleurs.
6 L’égalité parfaite en 2013 n’est que fortuite comme on va le voir.
7 Cette inflexion vers le haut coïncide aussi avec la mise en route du fameux protocole dit « de Kyoto » qui devait amorcer au contraire une rupture de tendance dans la consommation des énergies fossiles. Les engagements unilatéraux des États développés ne semblent pas avoir obtenu l’effet escompté.
8 National oceanic & atmospheric administration http://www.esrl.noaa.gov/gmd/ccgg/trends/.
9 Exprimées traditionnellement en parties par million en volume ou ppmv. La concentration de 2014 est connue, contrairement aux émissions, que le CDIAC n’a pas encore publiées.
10 Le CDIAC ne précise pas s’il tient compte des mesures in situ dans ses calculs et ses recoupements.
11 http://donnees.banquemondiale.org/
12 Les séries du PIB exprimé en parité de pouvoir d’achat (PPP dollar international 2011) seraient peut-être plus pertinentes, mais elles ne sont disponibles que depuis 1990.
13 Comme on peut le vérifier visuellement, les pronostiqueurs de l’année 1985 n’auraient pas commis une très grosse erreur en appliquant cette méthode aux 30 années qui allaient suivre, malgré les vicissitudes que l’on sait.
14 On a vu dans d’autres chroniques que les réserves fossiles étaient largement suffisantes pour autoriser une telle hypothèse à cet horizon.
15 Les émissions dues à l’utilisation des sols ont été supposées constantes.
16 En effet, on a supposé pour simplifier que les émissions anthropiques augmentaient d’une quantité annuelle constante entre les émissions 2013 et les émissions cibles de 2050. Les concentrations sont alors obtenues à partir de la somme des termes d’une progression arithmétique, d’où la forme parabolique de la courbe. En raison de ces approximations, les valeurs intermédiaires des deux courbes ne sont donc qu’approximatives.
17 5,9 milliards d’habitants sur 7,1 et 16 000 milliards de dollars sur 55 000. En termes de parité de pouvoir d’achat, 54% du PIB, soient 53 000 milliards de dollars sur 99 000 milliards (source Banque mondiale).

L’ÉNERGIE DANS LE MONDE. SYNTHÈSE.

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1. Introduction.

La question des ressources énergétiques, de leur exploitation et de la consommation d’énergie dépasse largement les frontières nationales pour être maintenant planétaire.

Un commerce énergétique international de plus en plus actif permet la mutualisation mondiale des ressources, compensant ainsi les disparités géographiques. La production d’énergie d’un pays donné peut assurer une partie de ses propres besoins mais rarement leur totalité. A l’inverse une production d’énergie excédentaire constitue une richesse exportable.

Ces échanges portent sur des matières pondéreuses dont les volumes et les tonnages sont considérables. Ils bénéficient de moyens de transport toujours plus puissants et plus efficaces et dont les coûts sont relativement peu élevés dans la chaîne qui va de la production à la consommation finale.

Certaines ressources, encore considérables à vue humaine sont toutefois limitées par définition. Leur épuisement progressif n’affectera pas seulement les pays détenteurs mais l’ensemble du monde.

Les effets éventuellement indésirables – réels ou supposés – résultant de la production et de la consommation d’énergie se manifestent parfois largement au-delà des frontières d’un pays, voire pour certains au niveau mondial.

Les données utilisées sont empruntées à la publication annuelle de British Petroleum (BP) : Statistical Review of world energy, édition 2014, qui comporte des séries longues pour toutes les formes d’énergies, fossiles ou non, ainsi que les émissions calculées de dioxyde de carbone (CO2).

L’unité utilisée pour la production et la consommation d’énergie sera ici la tonne équivalent pétrole (tep), qui permet de comparer et d’additionner les énergies de toutes natures. Même si les équivalences sont parfois discutables et conventionnelles, elles présentent l’avantage d’être utilisées universellement ; on ne les détaillera pas 1.

Les séries de productions en tep ne sont fournies par BP que pour les énergies fossiles. Les séries de consommation en tep sont fournies pour toutes les énergies.

2. Évolution de la production d’énergies fossiles.

Le graphique ci-dessous retrace l’évolution de la production d’énergies fossiles depuis 1980. On voit que le pétrole 2, qui était largement prépondérant jusqu’à l’année 2000, est peu à peu rejoint par le charbon et le gaz naturel, grâce d’une part à la montée en puissance de la Chine pour le charbon, d’autre part à l’exploitation des gaz non conventionnels (gaz dits « de schistes ») notamment aux États-Unis.

Comme les tendances paraissent robustes, il est vraisemblable que d’ici quelques années les trois énergies fossiles seront à égalité de production au niveau mondial.

Malgré quelques fluctuations, la production d’énergies fossiles augmente tendanciellement d’environ 230 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) par an. En 2013, elle était de 11 100 Mtep.
E8G1

Le graphique ci-dessous montre comment se répartissait géographiquement la production en 2013.
E8G2

Ces trois sources d’énergies ne sont pas interchangeables dans toutes leurs utilisations, et il existe des particularités régionales quant à leur nature (par exemple le Moyen-Orient ne dispose que de pétrole). Cela étant, on voit que toutes les grandes régions du monde sont représentées dans la production, avec une sorte de « prime » à la superficie. A cette aune, il est permis de penser que l’Amérique latine et l’Afrique sont loin d’avoir révélé toutes leurs ressources. Sans parler de la région arctique encore largement inexplorée.

3. Évolution de la consommation d’énergie.

Le graphique ci-dessous retrace la consommation d’énergie depuis 1980, cette fois pour toutes les énergies y compris les énergies « non-fossiles », regroupées pour ne pas alourdir le graphique 3.

L’énergie produite et l’énergie consommée sont pratiquement identiques à tout moment, car l’énergie une fois produite n’est pas stockable sauf exception 4.
E8G3

La consommation totale d’énergie augmente tendanciellement d’environ 260 Mtep par an. En 2013, elle était de 12 700 Mtep.

Depuis vingt ans, la part des énergies non fossiles n’a pas significativement augmenté : elle est restée de l’ordre de 13% de la consommation totale. Les graphiques ci-dessous indiquent la répartition en 2013 des consommations d’énergies.
E8G4

E8G5

On voit que les énergies non-fossiles sont très largement dominées par l’hydraulique et le nucléaire.
Le nucléaire a évidemment pâti du tsunami de Fukushima, qui a entraîné la fermeture des centrales japonaises, mais aussi celle, progressive, des centrales allemandes.
Les énergies intermittentes, éolienne et solaire, assurent actuellement 1,3% de la consommation mondiale mais l’éolien progresse assez vivement.

E8G6

4. Les émissions de dioxyde de carbone.

Parmi les inconvénients résultant de la production des énergies fossiles, le plus cité est l’émission de dioxyde de carbone (CO2) qui est censé influer défavorablement sur le climat 5.
Les masses de CO2 émises par les sources d’énergies fossiles ne sont pas directement mesurées, mais calculés 6 en appliquant à chaque type de combustible un coefficient d’émission 7 (tonnes de CO2 émis par tep produite). Compte tenu de la répartition actuelle entre les trois énergies fossiles, 1 tonne équivalent pétrole émet environ 3,14 tonne de CO2 8.

Le graphique ci-dessous retrace les émissions calculées de CO2 depuis 1980, ainsi que les productions d’énergies fossiles. Les deux courbes sont évidemment parallèles.

E8G7

Les émissions de CO2 dues aux combustibles fossiles augmentent tendanciellement d’environ 700 MtCO2 par an. En 2013, elles étaient de 35 000 MtCO2. Simplement pour fixer les idées, ces 35 000 MtCO2 correspondent (compte tenu des autres sources d’émissions : ciment, cultures et déduction faite des puits de carbone) à environ 2,3 ppmv de plus dans l’atmosphère 9. Selon l’idée que l’on se fait de la poursuite des tendances, on peut en déduire grossièrement l’évolution future de la concentration en CO2.

5. Conclusions.

Les questions énergétiques dépassent très largement les cadres nationaux et même les cadres continentaux, pour s’étendre au monde entier.

La production et la consommation mondiales d’énergie progressent linéairement au rythme moyen de 260 millions de tep par an, ce qui, rapporté à la consommation de 2013, représente + 2% par an, rythme qui n’a rien de déraisonnable. Cette tendance linéaire moyenne est observée depuis près de vingt ans malgré les vicissitudes de la période. Elle est donc relativement robuste et susceptible de constituer un instrument de prospective au moins pour deux ou trois décennies.

Les ressources fossiles sont très largement prépondérantes dans l’ensemble de l’énergie mondiale.

Les populations des pays dits « en développement » aspirent légitimement à la qualité de vie qui est devenue celle des pays développés. Pour satisfaire à cette aspiration et sortir de la pauvreté, ces pays ont besoin d’énergies abordables et fiables que les ressources fossiles peuvent justement leur fournir en abondance et sans délai, soit en utilisation directe, soit comme monnaie d’échange.

Rien ne laisse penser que ces pays puissent renoncer à cet objectif de long terme. Pour y parvenir, ils exploiteront leurs propres ressources fossiles ou se les procureront ailleurs. Les pays développés n’ont ni le droit ni le pouvoir de les en empêcher, alors qu’ils en tirent largement profit directement ou indirectement.

Il est par conséquent vain d’imaginer des « scénarios » de ruptures de tendance pour les décennies à venir. Nous perdrions à ces chimères un temps et un argent précieux qui peuvent être employés de façon plus utile, notamment au bénéfice de ces partenaires encore déshérités.

Il n’est évidemment pas question de pratiquer le gaspillage des ressources. Nos pays développés, comme on le voit d’après les courbes de consommation, en ont pris conscience depuis plusieurs décennies et ont désormais largement adopté des politiques d’économie d’énergie.

Mais il serait tout aussi vain de nous imposer « pour l’exemple », des mortifications dont les résultats seraient manifestement dérisoires à l’échelle mondiale.

1 Les unités utilisées en énergétique se caractérisent par une grande diversité, d’où d’innombrables tableaux de conversions…
2 Les biocarburants ne sont pas inclus dans les énergies fossiles. Voir note n°3
3 Les biocarburants sont cette fois compris dans la consommation de pétrole (65 Mtep en 2013 soit 1,5% du pétrole).
4 Les délais d’approvisionnement sont assimilables à des stocks en mouvement et n’apparaissent pas dans les flux.
5. On ne discutera pas ici le bien-fondé de cette théorie.
6 Ce qui est mesuré est la concentration en CO2 de l’air ambiant, exprimée cette fois en volume (ppmv ou parties par million en volume). Le site de mesure le plus connu est situé à Hawaï (sommet de Mauna Loa).
7 Les coefficients varient selon les types de combustibles et même selon les auteurs ; on ne les détaillera pas ici.
8 Soit π fois pour le moment, moyen mnémotechnique commode. Les émissions sont parfois exprimées en tonnes de Carbone et non de CO2, sachant que 1 tonne de Carbone = 3,67 tonnes de CO2 (rapport des masses moléculaires soit 44 / 12). La confusion est fréquente entre ces deux expressions.
9 Source Carbon Dioxide Information Analysis Center (CDIAC) et mesures de concentration de Mauna Loa, voir note n°6. Environ 1 ppmv pour 15 000 MtCO2 d’énergies fossiles (approximativement et sous toutes réserves).

COMMENTAIRES SUR LE GAZ NATUREL.

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1. Introduction.

La question du gaz naturel a pris ces dernières années une acuité nouvelle, du fait de la mise en exploitation massive aux États-Unis des « gaz de schistes », qui ont en quelques années modifié significativement le marché mondial de l’énergie.

La présente note a pour objet de fournir quelques éléments d’appréciation sur le gaz naturel en récapitulant des données historiques aisément accessibles.
Les données utilisées sont pour l’essentiel issues de la publication statistique annuelle de British Petroleum (BP) : Statistical Review of world energy, édition 2014, qui comporte des séries longues pour toutes les sources d’énergies, jusqu’en 2013 inclus. En ce qui concerne le gaz naturel, les séries commencent en 1965 pour la consommation, en 1970 pour la production et en 1980 pour les réserves.
-Ces séries sont complétées en tant que de besoin grâce à diverses autres sources.

Les unités utilisées par BP sont les suivantes :
-pour la production et la consommation : les volumes en mètres-cubes et les tonnes équivalent pétrole (tep ou toe en anglais) ; accessoirement les pieds cubes par jour (dont il ne sera pas fait état ici)
-pour les réserves : les volumes en mètres-cubes.

Dans la présente note, on se référera uniquement aux volumes en m3, avec pour unité courante de production et de consommation annuelles le milliard de m3 (Gm3), qui correspond à environ 1,1 millions de tep (Mtep).

2. Production et consommation mondiales de gaz.

2.1 Production et consommation mondiales.

Si la présence de gaz naturel dans le sol semble avoir été connue depuis longtemps, son utilisation en tant que source d’énergie, notamment en substitution des gaz manufacturés 1, ne remonte qu’aux années 1960. En Europe, les gisements de Lacq et de Groningue n’ont été mis en exploitation qu’entre 1965 et 1970.

Le graphique ci-dessous montre l’évolution de la production et de la consommation mondiales depuis 1960. Comme pour les autres sources d’énergies, les deux courbes sont presque confondues, car l’énergie produite doit être immédiatement écoulée 2.
E7G1

La production atteint actuellement environ 3 400 milliards de m3 et augmente en moyenne de 70 millions de m3 par an depuis une vingtaine d’années, sans signe de ralentissement.

Selon certaines sources, en 2005 la production se répartissait ainsi :
-70% terrestre
-30% offshore

2.2 Production par grandes régions du monde.

Le graphique suivant montre comment se répartit la production sur la planète. Pour ne pas surcharger le graphique, on a divisé le monde en grandes régions ; le détail par pays est donné à la suite (les pays sont classés par ordre d’importance, avec leurs pourcentages de production au sein de la région considérée).
E7G2

-Moyen-Orient : Iran (29%), Qatar (28%), Arabie Saoudite (18%), Emirats Arabes Unis (10%), Oman
-Asie du sud-est : Chine (26%), Indonésie 16%), Malaisie (16%), Thaïlande (9%), Pakistan, Inde, Bangladesh
-Afrique : Algérie (39%), Egypte (27%), Nigéria (18%) -Amérique latine : Mexique (24%), Trinidad & Tobago (18%), Argentine (15%), Venezuela, Brésil, Bolivie
-Eurasie : Turkménistan (36%), Ouzbékistan (32%), Ukraine (11%), Kazakhstan (11%), Azerbaïdjan
-Espace économique européen 3 : Norvège (39%), Pays-Bas (25%), Royaume-Uni (21%)

On voit que d’une façon générale, les gisements de gaz naturel sont largement répartis sur tous les continents.

La production est en augmentation pratiquement partout dans le monde, avec une mention spéciale pour les États-Unis dont la production stagnait et qui s’est fortement redressée grâce à l’exploitation de gaz non traditionnel connu sous le nom de « gaz de schiste ».

La seule exception est celle de l’Europe, dont la production décline en raison de l’épuisement progressif des gisements traditionnels. Quoique la production européenne soit devenue modeste, il a paru intéressant de la détailler dans le graphique ci-dessous, car elle illustre dans une certaine mesure la notion de « pic gazier ».

Le cas de la production du Royaume-Uni est particulièrement représentatif de l’allure « en cloche » avec un pic de production en 2003.
Par contre, la production de la Norvège continue de progresser, et les Pays-Bas contrôlent leur production qui reste stable.
E7G3

2.3 Consommation par grandes régions du monde.

Le graphique ci-après montre la répartition des consommations entre grandes régions, avec un découpage mondial analogue à celui de la production.
E7G4

La consommation de gaz est presque partout en croissance, à l’exception de celle de l’Europe, qui a d’ailleurs stabilisé sa consommation toutes énergies confondues.

Contrairement au pétrole, dont les 2/3 de la production sont l’objet d’échanges internationaux à longues distances, la grande majorité du gaz naturel est consommée dans les pays producteurs ou échangée avec des pays voisins ou proches.

Les tableaux ci-après résument les principaux échanges extérieurs respectivement par gazoduc et sous forme liquéfiée. On voit notamment l’importance des échanges intra-européens et des importations de gaz russe.

E7G5

Les échanges à longues distances effectués par voie maritime représentent moins de 10% de la production.

2.4 Production mondiale cumulée.

D’après diverses sources, on estime que la production cumulée de gaz naturel en 1960 était d’environ 4 000 Gm3. En partant de cette valeur, on peut tracer la courbe ci-dessous.

E7G7

Fin 2013, la production cumulée est de 100 000 Gm3.

3. Les réserves.

3.1 Réserves prouvées.

La notion de réserves « prouvées » correspond aux réserves détectées et exploitables selon des technologies existantes ou en cours de mise au point. BP publie la série chronologique des réserves depuis 1980. En utilisant quelques valeurs complémentaires empruntées à d’autres sources et en interpolant entre ces valeurs, il est possible de reconstituer un historique des réserves prouvées en fins d’années. C’est l’objet du graphique ci-dessous.

E7G8

Les ressources présumées de gaz naturel peuvent être évaluées en additionnant chaque année les volumes déjà produits et les réserves estimées.

- En 1960, la production cumulée était de 4 000 Gm3 et les réserves étaient estimées à un peu moins de 20 000 Gm3, soit 4 000 + 20 000 = 24 000 Gm3 de capacité totale. Mais à l’époque, on estimait déjà plausibles des ressources ultimes comprises entre 100 et 150 000 Gm3. L’ère du gaz naturel n’en était qu’à ses débuts.

- En 2000, la production cumulée était de 65 000 Gm3 et les réserves étaient estimées à 140 000 Gm3, soit 65 000 + 140 000 = 205 000 Gm3 de capacité totale supposée.

- En 2013, la production cumulée a atteint 100 000 Gm3 et les réserves sont estimées à 185 000 Gm3, soit 100 000 + 185 000 = 285 000 Gm3 de capacité totale supposée.

Cette croissance continue est déjà un élément d’information utile à connaître.

Une autre manière de présenter l’évolution des réserves estimées est d’utiliser le ratio : « rapport entre réserves estimées en fin d’année et production de la même année », soit R/P, ce qui donne la durée qui resterait à courir jusqu’à épuisement des réserves dans le cas – tout théorique évidemment – où la production se stabiliserait au niveau actuel 4.

Voici la courbe des rapports R/P depuis l’origine.

E7G9

Cette courbe semble s’être stabilisée à environ 55 années de production, valeur qui était déjà atteinte en 1990 (la pointe de 2001 était due à une forte réévaluation des réserves du Qatar).

3.2 Conclusions

La production de gaz naturel a commencé de façon intensive il y a une cinquantaine d’années. Depuis lors, elle n’a cessé de progresser de façon régulière, sans aucune inflexion. Les réserves « prouvées » augmentent de façon tout aussi régulière, au fur et à mesure de la découverte de nouveaux champs et de la mise au point de nouvelles techniques d’extraction. Le rapport entre les réserves prouvées et les productions annuelles, exprimé en nombre d’années de « survie », oscille entre 50 et 60 ans… depuis trente ans.

Le gaz naturel jouit d’une grande faveur publique, pour différentes raisons dont sa commodité d’utilisation, son pouvoir calorifique élevé et ses faibles rejets de produits indésirables (inférieurs à ceux des autres énergies fossiles). Cette circonstance se traduit par une demande accrue et constitue une incitation puissante à la poursuite de la production et à la recherche de nouveaux gisements.

Il existe certes des régions privilégiées, mais les gisements gaziers sont bien répartis sur toute la planète, et notamment dans des pays encore défavorisés et qui ont besoin d’une énergie proche et abondante. De nouvelles découvertes sont régulièrement annoncées, que ce soit au large des côtes ou au sein des massifs sédimentaires, même si dans ce domaine l’exagération initiale et la déception ne sont pas rares. Des zones entières restent encore à explorer 5. Certaines sources officielles estiment que les ressources ultimes récupérables pourraient représenter deux ou trois fois les réserves « prouvées » actuelles.

Bref, la fin du gaz ne semble pas constituer une hypothèse de travail vraisemblable ni utile dans l’immédiat.

1 Les anciens se rappellent les « usines à gaz », vastes réservoirs cylindriques noirs qui parsemaient le territoire.
2 Les délais de transport et les stocks sont à peu près constants et n’apparaissent pas dans les courbes de flux.
3 L’Espace économique européen (EEE) se compose de l’Union européenne, plus la Norvège et l’Islande ; par commodité, on a ici englobé la Suisse dans cet ensemble (la Suisse fait partie de l’association de libre-échange – AELE – mais pas de l’EEE).
4 Tout théorique pour deux raisons principales : d’une part, si l’on en juge par la tendance passée, la production va continuer à croître dans les années qui viennent ; d’autre part la production diminue lorsque l’on a passé le « pic » et que l’on s’approche de l’épuisement du gisement.
5 Dont les zones arctiques, qui suscitent bien des convoitises.

COMMENTAIRES SUR LE CHARBON.

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1. Introduction.

Depuis quelques décennies le « pic pétrolier » et l’épuisement des ressources pétrolières sont régulièrement annoncés comme imminents, puis régulièrement repoussés dans le temps. Par contre, l’épuisement des ressources en charbon apparaît généralement comme une perspective lointaine, quoique des « pics charbonniers » (peak coal) et des épuisements aient été observés au niveau de certains pays (France, Royaume-Uni, Japon, Corée).

La présente note a pour objet de fournir quelques éléments d’appréciation sur ce sujet en récapitulant des données historiques empruntées notamment aux sources suivantes :

  • British Petroleum (BP) : Statistical Review of world energy, édition 2014 (les séries de consommation commencent en 1965 et les séries de production en 1981)
  • World energy council
  • US Geological Survey
  • David Rutledge (université de Californie)
  • Université d’Uppsala

2. Production et consommation de charbon.

2.1 Production et consommation annuelles mondiales.

Contrairement aux ressources pétrolières, les ressources en charbon sont relativement bien réparties dans le monde. L’équilibre entre la production et la consommation peut souvent être assuré régionalement. L’Amérique du nord, la Chine et l’Inde assurent une part importante de leurs propres consommations ; il en va de même pour l’Allemagne, la Pologne, la Roumanie, la République tchèque et l’Ukraine. Certains pays sont fortement exportateurs, comme l’Afrique du sud, l’Indonésie ou l’Australie.

Le graphique suivant représente l’évolution de la production et de la consommation mondiales depuis 1965 1.
E6G1

Une tonne métrique de charbon, au niveau global, équivaut à environ 0,5 tonnes équivalent pétrole (tep), mais ce ratio peut varier considérablement d’un site de production et d’un pays à un autre en raison de la grande diversité des pouvoirs calorifiques, depuis le lignite brute (0,33 tep/t) jusqu’à l’anthracite (0,67 tep/t). On ne s’étendra pas ici sur cette question 2.

On peut constater visuellement qu’il y a eu en général une adéquation satisfaisante entre offre et demande mondiale : on ne note sur longue période ni surproductions ni pénuries durables : la demande globale des consommateurs a déterminé l’offre des producteurs qui s’est adaptée sans difficultés.

La production annuelle, croissante jusqu’en 1989, a subi en 1990 les conséquences durables du démantèlement de l’Union soviétique. La forte reprise à partir de 2002 correspond à l’époque du décollage économique de la Chine.

Actuellement, la production s’établit à environ 8 milliards de tonnes par an (4 milliards de tep).

2.2 Productions annuelles par grandes régions.

Le graphique ci-dessous montre les productions des pays ou des régions qui totalisent environ 95% du charbon mondial. Comme la Chine en produit à elle seule près de la moitié (47%), on lui a affecté l’échelle de gauche pour plus de clarté. Les productions sont ici exprimées en tonnes équivalent pétrole.
E6G2

La production est largement dominée, outre la Chine, par six grands producteurs qui par leur diversité géographique (tous les continents sont représentés) illustrent bien la répartition relativement équilibrée des ressources.

On voit notamment que l’Union européenne, qui a connu un « pic charbonnier » en raison de l’ancienneté de ses exploitations, reste encore un producteur non négligeable grâce aux gisements de lignite de sa partie est. Cette production est essentiellement à usage interne.

2.3 Consommations annuelles par grandes régions.

Le graphique ci-dessous montre comment la consommation en tonnes équivalent pétrole s’est répartie, d’une part entre les pays de l’OCDE 3 et le reste du monde, d’autre part dans quelques grandes régions.

E6G3

Sans surprise, on constate que les pays de l’OCDE, dont l’Amérique du nord et l’Europe, ont stabilisé puis fait décroître leurs consommations, notamment grâce aux politiques d’économie d’énergie, et que la consommation mondiale est tirée par le reste du monde, dont en premier lieu la Chine (le quart de la consommation mondiale).

2.4 Production mondiale cumulée.

La production (et la consommation) de charbon n’a commencé de façon significative qu’au début de l’ère industrielle, soit vers le début du 19ème siècle.
Pour les données historiques antérieures à 1965, on s’appuie sur les travaux de David Rutledge (université de Californie) qui fournit des séries détaillées. Selon ce spécialiste, les productions cumulées étaient les suivantes (Gt : milliards de tonnes de charbon – et non de tep) :

  • en 1900 :  19 Gt (production annuelle de l’époque environ 0,8 Gt)
  • début 1965 : 117 Gt (production annuelle de l’époque environ 2,7 Gt)

On partira de cette dernière estimation, en utilisant à partir de 1965 les séries en tonnes de l’USGS et de BP.

E6G4

Le monde aurait donc, fin 2013, extrait environ 350 milliards de tonnes de charbon depuis le début de l’ère industrielle.

3. Les réserves et les perspectives.

3.1 Réserves « prouvées ».

En matière de charbon comme de pétrole, on a l’habitude de parler de « réserves prouvées », cette dernière notion correspondant aux réserves détectées et exploitables selon des technologies existantes ou en cours de mise au point.

Ces réserves sont très mal connues et c’est encore peu dire, de sorte que le terme de « prouvées » est certainement excessif. BP world energy se contente de reproduire chaque année les données les plus récentes de World energy council, qui ne sont elles-mêmes mises à jour qu’à intervalles très irréguliers : on peut ainsi trouver plusieurs années de suite exactement les mêmes chiffres ce qui est évidemment invraisemblable.

Le graphique ci-dessous fournit une courbe d’évolution depuis 1974, telle qu’on peut la reconstituer tant bien que mal. Les réserves sont exprimées en tonnes, car la conversion en tep serait un raffinement illusoire.
E6G5

Depuis une dizaine d’années, les réserves sont restées estimées à environ 900 milliards de tonnes.

Récapitulons d’après ce qui précède :

En 1974, la production cumulée était de 150 Gt et les réserves étaient estimées à 600 Gt, soit 150 + 600 = 750 Gt de capacité totale.
En 2013, la production cumulée a atteint 350 Gt et les réserves sont estimées à 900 Gt, soit 350 + 900 =1 250 Gt de capacité totale.
La capacité totale estimée a donc été multipliée par 1,7 en quarante ans.

Une autre manière de présenter l’évolution des réserves estimées est d’utiliser le ratio : « rapport entre réserves estimées en fin d’année et production de la même année », désigné par R/P, ce qui donne la durée qui resterait à courir jusqu’à épuisement des réserves dans le cas – tout théorique évidemment – où la production se stabiliserait au niveau de l’année considérée.

A défaut de produire des séries dans son rapport annuel, BP fournit sur son site internet un graphique interactif donnant le rapport R/P depuis 1993. On peut par ailleurs calculer ce rapport pour les années 1974 à 1992 avec les données retracées précédemment. Le graphique ci-dessous retrace l’évolution des rapports R/P depuis 1974. Fin 2013, le rapport R/P est de 113 ans.

E6G6

3.2 Conclusions provisoires.

Le monde disposerait donc, au mieux, d’un peu plus d’un siècle de réserves.

Or depuis 2002, la consommation de charbon (ainsi que la production) augmente chaque année linéairement d’environ 0,3 milliards de tonnes 4. A ce rythme, la consommation serait de 11 Gt dans dix ans, et sauf réévaluation des réserves dans l’intervalle, il resterait encore 90 ans de réserves. En prolongeant encore de dix ans la courbe de consommation et toujours sans réévaluation, on aboutirait vers 2035 à environ 70 ans de réserves.

Ce genre de prospective est particulièrement hasardeux ; on retiendra que la question de l’épuisement du charbon ne devrait se poser que vers la fin du 21ème siècle, ce qui laisse du temps pour y réfléchir.

Ceci d’autant plus que deux types d’évolution peuvent se produire dans l’avenir.

D’une part, les « réserves prouvées » ont toutes les chances d’augmenter. World energy council utilisait autrefois la notion de « ressources », plus géologique que technologique. En simplifiant, il s’agirait de gisements repérés ou probables, actuellement inaccessibles du fait notamment de leur profondeur mais qui pourraient devenir exploitables avec des techniques adaptées. Il est notamment fait état de ces ressources dans un tableau d’un rapport de l’Université d’Uppsala 5. Elles étaient estimées en 1995 par le WEC à environ 10 000 milliards de tonnes, soit 10 fois les « réserves prouvées » 6.

D’autre part ; l’augmentation linéaire de la consommation de charbon ne saurait se poursuivre indéfiniment. En effet, comme dans de nombreux autres domaines de la consommation et du mode de vie, il est probable que l’ensemble du monde se rapprochera peu à peu des standards occidentaux. A moyen ou long terme la consommation des pays en développement, et donc la consommation mondiale, devrait donc progressivement tendre vers une stabilisation.

Enfin, les ressources charbonnières étant géographiquement bien réparties, il ne semble pas que les ressources puissent être l’objet de convoitises ou de conflits comme c’est le cas pour le pétrole.

On conclura cet examen sommaire sur cette note optimiste. En attendant, on pourra lire ou relire « The Coal Question » de Jevons (1865) livre prophétique s’il en fut.

1 La question des unités est une source de confusion. BP exprime les productions en tonnes et en tonne-équivalent pétrole (tep, ou toe en anglais), la consommation en tep et les réserves en tonnes. Les Américains utilisent parfois la « short ton » de 0,907 tonnes métriques et la tonne « standard coal equivalent », étalon par rapport auquel sont définies les différentes qualités de charbon.
2 En gros, le pouvoir calorifique dépend de la concentration en carbone, qui augmente avec l’âge du gisement, depuis le carbonifère jusqu’au quaternaire. Plus cette concentration est élevée, plus la combustion produit d’énergie et moins elle émet de déchets.
3 Rappelons que l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) rassemble 34 États parmi « les plus avancés », dont toute l’Amérique du nord et presque toute l’Union européenne (mais pas la Russie).
4 Environ 5 milliards de tonnes en 2002 et 8 milliards de tonnes en 2013 ; donc en réalité 0,27 Gt par an.
5 « Global coal production outlooks based on a logistic model », Höök et al. 2010.
6 Pour mémoire, le rapport « Meadows » de 1972 titré « Halte à la croissance ? » dans l’édition en français (page 174) mentionnait comme « réserves globales connues » le chiffre de 5 000 milliards de tonnes.

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE. AIDE-MÉMOIRE.

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1/ Origine.

Le texte fondateur de la démarche est la directive 2009/28/CE (23 avril 2009) qui définit les objectifs de l’Union européenne en matière de recours aux énergies dites « renouvelables » en distinguant trois secteurs :

  • production de chaleur et de refroidissement ;
  • production d’électricité ;
  • fonctionnement des transports.

L’objectif commun aux 27 (28) États membres est fixé à 20% d’énergies renouvelables à l’horizon 2020 1.

L’annexe I de la directive définit pour chaque État l’« énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute » observée en 2005, année de référence, et son objectif pour 2020. Cet objectif est qualifié de « contraignant ».
La France s’est vue fixer un objectif de 23% 2 (contre 10,3% en 2005).

L’annexe I définit aussi une « trajectoire » composée de quatre étapes intermédiaires « indicatives », en 2012, 2014, 2016 et 2018, auxquelles les Etats sont censés avoir accompli certaines proportions de leurs objectifs. Chaque Etat est tenu de fournir à la Commission avant le 30 juin 2010 sa propre feuille de route sous forme d’un plan d’action national.

La directive donne un certain nombre de définitions, notamment :

- « énergie produite à partir de sources renouvelables »: une énergie produite à partir de sources non fossiles renouvelables, à savoir: énergie éolienne, solaire, aérothermique, géothermique, hydrothermique, marine et hydroélectrique, biomasse, gaz de décharge, gaz des stations d’épuration d’eaux usées et biogaz.

- « consommation finale brute d’énergie »: les produits énergétiques fournis à des fins énergétiques à l’industrie, aux transports, aux ménages, aux services, y compris aux services publics, à l’agriculture, à la sylviculture et à la pêche, y compris l’électricité et la chaleur consommées par la branche énergie pour la production d’électricité et de chaleur et les pertes sur les réseaux pour la production et le transport d’électricité et de chaleur 3.

2/ Le plan d’action national en faveur des énergies renouvelables.

Ce plan, défini en application de la directive pour la période 2009-2020, est largement inspiré de la « programmation pluriannuelle des investissements en production d’énergie » (PPI) rendu public en 2009. C’est un document de 120 pages qui comporte un grand nombre d’informations et de données, notamment des tableaux de séries chronologiques des années 2005 à 2020.

-Le tableau 1 définit une chronique des consommations finales brutes totales en distinguant les trois secteurs : chauffage, électricité, transports (avec une rubrique spéciale pour l’aviation).

Deux scénarios sont présentés :

-un scénario « de référence » (au fil de l’eau) ;

-un scénario « efficacité énergétique accrue » qui prévoit une diminution régulière des consommations totales entre 2008 (165,2 Mtep 4) et 2020 (155,3 Mtep). C’est ce scénario qui est retenu dans toutes les projections suivantes.

-Le tableau 2 fournit pour ce scénario l’objectif en valeur absolue de consommation finale brute d’énergies renouvelables en 2020 : 35,6 Mtep (c’est-à-dire 23% de 155,3).

-Le tableau 3 fournit la chronique des pourcentages d’énergies renouvelables dans la consommation des trois secteurs, qui aboutit aux valeurs objectifs suivantes en 2020 :
-chaleur : 33%
-électricité : 27%
-transports : 10,5%

-Le tableau 4 fournit les chroniques des valeurs absolues de consommations qui aboutissent aux objectifs suivants en 2020 :
-chaleur : 19,7 Mtep
-électricité : 12,7 Mtep
-transports : 4,1 Mtep
(le total de 36,1 Mtep est légèrement différent du chiffre du tableau 2)

-Les tableaux 10 à 12 fournissent les chroniques des valeurs absolues de consommations pour chacun des trois secteurs avec le détail des contributions de chacune des technologies utilisées. Ces tableaux constituent la feuille de route détaillée adoptée par le gouvernement pour fonder sa politique énergétique depuis 2008. Ces valeurs absolues sont calculées en appliquant les pourcentages du tableau 3 aux consommations finales brutes du scénario « efficacité énergétique accrue » du tableau 1.

3/ Avancement du plan d’action en 2012.

Avancement global.

L’année 2012 est le premier « rendez-vous » fixé par la directive pour évaluer l’avancement du plan par rapport à la feuille de route.

Cet avancement est analysé dans le rapport du SOeS (collection « Repères ») intitulé « Chiffres clefs des énergies renouvelables » d’octobre 2014, pages 33 à 42. Le tableau de la page 40 fournit la comparaison entre l’objectif indicatif 2012 et la réalisation ; il est reproduit ci-après (adaptation du tableau original).

On ne détaillera pas ici les différents postes du tableau.

On retiendra que la France accuse un retard dans la réalisation de ses objectifs, qui ne sont respectés en 2012 qu’à raison de :

-97% pour l’électricité (mais 93% hors hydraulique)
-96% pour la chaleur
-94% pour les biocarburants

COMPARAISON OBJECTIFS-REALISATIONS (source SOeS, octobre 2014)E5G1

4/ Le cas particulier de l’électricité.

4.1 Les objectifs.

Le tableau 10 fournit, pour le scénario « efficacité énergétique accrue », une « Estimation de la contribution totale (capacité installée, production brute d’électricité) prévue de chaque technologie fondée sur des sources d’énergie renouvelables en France afin d’atteindre les objectifs contraignants de 2020 et la trajectoire indicative pour les parts de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans le secteur de l’électricité de 2010 à 2014 » cette fois en unités électriques.
Le tableau original a été ici simplifié et divisé en deux parties (productions/puissances) pour plus de lisibilité.

E5G2

E5G3

A partir de ces deux tableaux, on peut calculer les facteurs de charge pris en compte dans le plan d’action national pour évaluer les puissances installées nécessaires dans l’avenir :

-Hydraulique : 30%
-Solaire photovoltaïque : 14%
-Solaire à concentration : 21%
-Éolien terrestre : 24%
-Éolien offshore : 34%
-Biomasse : 63% à 65%
Les facteurs de charge prévus pour les énergies intermittentes sont un peu supérieurs aux facteurs de charge observés.

4.2 Les réalisations en 2012.

Selon le tableau objectifs-réalisations précédent, les productions réelles en 2012 ont été les suivantes (les écarts sur l’hydraulique ne sont pas significatifs) 5 :

-Éolien : 1 220 ktep soient 14,2 TWh 6 au lieu de 18 TWh (déficit 2012 : 3,8 TWh, réalisation cumulée 79%)
-Solaire : 382 ktep soient 4,5 TWh au lieu de 1,4 TWh (excédent 2012 : 3,1 TWh, réalisation cumulée 329%)
-Biomasse : 491 ktep soient 5,7 TWh au lieu de 6,5 TWh (déficit 2012 : 0,8 TWh, réalisation cumulée 88%)

Le graphique ci-dessous illustre les courbes des objectifs 2005-2020, ainsi que les points des réalisations 2012.

E5G4

Pour atteindre les objectifs de 2020, le tableau ci-dessous récapitule les productions à réaliser entre 2013 et 2020 et les capacités installées nécessaires à cette production :

E5G5

Les puissances installées correspondantes sont calculées avec les facteurs de charge de l’éolien terrestre et du solaire photovoltaïque : en effet l’éolien offshore ne sera pas opérationnel avant 2020, et le solaire à concentration n’atteindra à cette date qu’une capacité faible ou négligeable.

4.3 Les réalisations probables en 2013.

On ne dispose pas encore de l’état des réalisations 2013 7 ; il est possible d’ailleurs que la prochaine édition des chiffres clefs des énergies renouvelables concerne l’année 2014, qui est le prochain « rendez-vous » de la trajectoire.

On peut toutefois s’appuyer en première approximation sur les chiffres de production de RTE (pour la France métropolitaine) et les comparer aux chiffres du tableau du §4.1 :

-Éolien : 15,9 TWh (au lieu de 21,9 TWh) : déficit de 6 TWh, la courbe de production réelle continue à diverger de la courbe objectif.
-Solaire : 4,6 TWh (au lieu de 1,8 TWh) : excédent de 2,6 TWh, le solaire serait en passe d’atteindre son objectif 2020 d’ici trois ou quatre ans
-Biomasse : 6,3 TWh (au lieu de 7,8 TWh) : déficit de 1,5 TWh, la courbe de production réelle continue à diverger de la courbe objectif.

Quoique les chiffres puissent différer légèrement selon les modes de calcul, il apparaît que le solaire photovoltaïque continue à être exagérément privilégié, ce qui peut s’expliquer par des tarifs de rachats particulièrement attractifs pour les investisseurs (et par conséquent un coût élevé pour les consommateurs d’électricité).

5/ Conclusions.

On peut constater que, trois années après son lancement effectif, le plan d’action national pour les énergies renouvelables a déjà pris un retard significatif, à une exception notable près, celle du solaire photovoltaïque.

Il est donc plus que probable que les « objectifs contraignants » de 2020 auront les plus grandes difficultés à être respectés par la France 8. On peut d’ailleurs s’étonner a posteriori que, un des objets principaux de la directive étant la réduction des émissions de CO2, il n’ait été tenu aucun compte dans les objectifs des États de l’existence d’un contingent de production nucléaire, ce qui aurait abaissé les objectifs français.

Quant aux perspectives plus lointaines (2025 et 2030) évoquées dans le projet de loi sur la « transition énergétique », il parait plus prudent d’en réserver l’examen au vu des résultats actuels, et compte tenu de ceux des prochaines années.

1 Inutile de dire que cet « objectif » ne répond à aucune analyse scientifique préalable ; c’est si l’on ose dire un « jeu de nombres ».
2 Les objectifs des différents Etat ont été fixés selon la situation de départ (2005) et les ressources disponibles, notamment en énergie hydraulique qui fait partie des énergies renouvelables. Les pays fortement pourvus sont très sollicités (Suède 49%, Finlande 38%,
Autriche 34%), contrairement aux plats pays (Benelux 11 à 14%).
3 Au vu des ordres de grandeur, cette dernière définition ne semble pas inclure la chaleur émise conventionnellement par les centrales nucléaires
4 Mtep = millions de tonnes équivalent pétrole. Ces valeurs sont proches de la « consommation d’énergie finale » des bilans énergétiques publiés annuellement par le SOeS (et qui ne concernent que la France métropolitaine).
5 Les chiffres sont légèrement différents de ceux du bilan RTE. On se contentera de ces ordres de grandeur.
6 1 ktep = 11,667 GWh
7 A ce sujet, on peut être surpris qu’il ait fallu attendre octobre 2014 pour connaître les chiffres « officiels » de 2012.
8 Le rapport du SOeS d’octobre 2014 donne des indications sur l’avancement des autres États de l’Union européenne, mais pour  l’année 2011 seulement. Il apparait que le Royaume-Uni (objectif 2020 : 15%) et le Benelux (objectifs 2020 : 11 à 14%) étaient
encore plus en retard que la France.

COMMENTAIRES SUR LA PRODUCTION ÉLECTRIQUE EN FRANCE.

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1. Introduction.

La question de la production électrique en France métropolitaine est actuellement sur le devant de la scène, à la faveur de la discussion d’une loi dite « de transition énergétique », censée bouleverser de fond en comble le « bouquet » (ou « mix ») énergétique du pays. Cette loi est encore en discussion, et on n’en parlera pas ici.

On s’en tiendra à la description des dix dernières années et plus particulièrement de l’année 2013.

On utilisera les sources principales suivantes, dont chacune dispose d’un site internet bien documenté :
-le Réseau de transport d’électricité (RTE) qui est chargé de la distribution du courant haute tension sur le territoire et de l’équilibre permanent et instantané entre offre et demande, y compris la gestion des échanges physiques avec les services homologues des pays frontaliers.
-la Commission de régulation de l’énergie (CRE), qui est chargée du bon fonctionnement des marchés de l’électricité (et du gaz).
-accessoirement le service « Observation et statistiques » du ministère de l’écologie et de l’énergie qui publie annuellement un bilan de l’énergie.

Ces organismes officiels de surveillance et d’observation sont par définition impartiaux et neutres, et on peut faire confiance aux données chiffrées qu’ils publient.
Les unités suivantes ont été adoptées en règle générale :
-la puissance est exprimée en mégawatts (MW, 106 watts) ou en gigawatts (GW, 109 watts), qu’il s’agisse de la puissance dite « installée » (ou nominale, ou encore « capacité ») ou de celle qui est effectivement appelée (ou sollicitée) pour produire du courant ;
-la production et la consommation sont exprimées en gigawatts-heure (GWh, 109 watts-heure) ou en terawatts-­heure (TWh, 1012 watts-heure) ;
-on n’a pas utilisé la tonne-équivalent-pétrole (tep) ;

2/ Le facteur de charge.

Rappelons que l’année comporte 8 760 heures. Par conséquent 1 MW de puissance installée ne peut produire annuellement que 8,760 GWh, maximum théorique qui n’est jamais atteint en pratique.

On désigne par « facteur de charge » 1 (ou « facteur de production » ou encore « taux de disponibilité ») le rapport, que l’on exprime généralement en pourcentage, entre la production effective et la production maximum théorique.

Le facteur de charge varie à tout moment, mais on utilise en général sa valeur moyenne sur une période déterminée : année, fraction d’année, mois ou autres. Pour calculer la production électrique sur une période donnée, il faut commencer par multiplier la puissance installée théorique par le facteur de charge pour obtenir une puissance installée effective ou utile. Par conséquent, le facteur de charge constitue une mesure de performance (et donc de rentabilité).

Le facteur de charge est très différent d’une source d’énergie à l’autre. Il peut être, soit inhérent au type de production et limité par ses performances intrinsèques, soit conditionné par les contraintes qui lui sont imposées pour des raisons techniques ou réglementaires. Définir une source d’énergie par sa seule puissance installée est donc insuffisant voire trompeur, et comparer les puissances installées entre sources d’électricité de natures différentes n’a aucun sens (pas plus que de les additionner).

3/ Capacité et production électrique en France depuis dix ans.

3.1 Évolution depuis dix ans.

Les tableaux ci-dessous récapitulent pour les années 2004 à 2013 et pour les différentes sources d’énergie électrique :
-les puissances installées moyennes de l’année en MW
-les productions annuelles en TWh
-les pourcentages dans la production électrique nationale -les facteurs de charge exprimés en pourcentages

E3G1

Notes :
-puissances installées moyennes : (puissance fin année n + puissance fin année n-1) divisé par 2.
-solaire : photovoltaïque.
-autres énergies renouvelables (EnR) : énergie thermique utilisant biomasse, déchets, biogaz etc.
-les totaux des puissances installées ne sont indiquées que pour mémoire.

Pour bien comprendre les tableaux, prenons un exemple.
En 2013, on avait en moyenne 7 828 MW d’éolien installé, qui auraient pu théoriquement produire :
7 828 GW x 8 760 h x 10-6 = 68,6 TWh,
Mais qui n’ont produit que 15,9 TWh, soit un facteur de charge de 15,9 / 68,6 = 23%.

L’évolution des productions annuelles par sources d’énergies a été représentée sur le graphique ci-après.
E3G2

3.2 Premières conclusions.

L’examen des tableaux et du graphique permet de tirer un certain nombre d’enseignements utiles pour le présent et l’avenir.

La production électrique, qui est déterminée essentiellement par la demande intérieure, c’est-à-dire la consommation des usagers (ménages, administrations et entreprises), est stable depuis dix ans 2. Cette stabilité peut s’expliquer par plusieurs causes, parmi lesquelles les économies d’énergie (isolations, appareils à basses consommations etc.), une croissance ralentie, un moindre recours à l’électricité pour le chauffage domestique, la stabilité des températures moyennes, etc. Leur analyse sortirait du cadre de cette note. Rien ne laisse à penser que ces causes puissent changer de façon significative dans l’avenir proche ou moyen. Il en résulte que l’hypothèse d’une consommation intérieure future inchangée par rapport aux dix dernières années peut constituer une base solide de prospective.

Les énergies dites renouvelables, qui ont surtout pris leur essor en début de période, ne représentent encore que moins de 5% de la production, dont moins de 4% pour les énergies intermittentes (éolien et solaire photovoltaïque).

3.3 Les facteurs de charge.

Certains facteurs de charge peuvent être considérés comme inhérents au mode de production :

-Les énergies intermittentes ont la priorité dans l’injection sur le réseau, elles ne sont donc pas bridées. Les facteurs de charge de l’éolien (environ 23%) et du solaire (environ 13%) peuvent donc être considérés comme des maxima en l’état actuel des techniques 3, d’autant plus que les parcs, encore relativement jeunes, n’ont pas encore subi l’effet du vieillissement, de l’usure ni des nécessités de remplacement des organes essentiels.
-L’hydraulique (30% à 35% selon les années). Les barrages ne servent pas seulement à produire de l’électricité, mais aussi à d’autres fins, par exemple les soutiens d’étiages. Il faut donc maintenir une réserve d’eau minimale malgré les variations des précipitations. En outre, certaines usines peuvent fonctionner « à l’envers » pendant la nuit, c’est-à-dire être réalimentés par des pompages, qui constituent une sorte de stockage indirect de l’électricité.
-Le nucléaire assure la production dite « de base ». Le fonctionnement des réacteurs est pratiquement permanent, en dehors des périodes de rechargement en combustible, d’entretien et de rénovation (le parc est en effet relativement ancien). Le facteur de charge est de l’ordre de 75%. Certains parcs nucléaires étrangers plus récents ont des facteurs de charge supérieurs (jusqu’à 80%).

D’autres facteurs de charge dépendent de circonstances extrinsèques :

-Les centrales thermiques classiques sont sollicitées pour compléter la production de base lors des pointes de consommation. Ces centrales présentent en effet une souplesse de fonctionnement (interruptions aisées et redémarrages rapides) qui leur permet de remédier aux excédents et aux insuffisances momentanées des productions de base liées aux variations de consommation. Leur fonctionnement n’est donc pas permanent, ce qui explique un facteur de charge très inférieur à la production nucléaire.
On constate que leur facteur de charge est passé de 30% à 20% en quelques années. Cette diminution sensible n’a pas pour cause une baisse des performances, mais résulte de la croissance des énergies intermittentes, qui ont la priorité pour l’accès au réseau et dont la production ne peut coïncider que par hasard avec les besoins 4. C’est la raison pour laquelle le développement des capacités d’énergies intermittentes a et aura pour conséquence inévitable un développement des capacités thermiques fossiles, car celles-ci peuvent être interrompues en cas de surproduction et redémarrer en urgence en cas de défaillance 5. Mais il en résulte tout naturellement des capacités inutilisées, donc un facteur de charge qui se dégrade, et une rentabilité qui peut conduire à la fermeture pure et simple, sauf à subventionner leur maintien6.

Globalement, on voit bien d’ailleurs que le facteur de charge moyen de l’ensemble de la production électrique ne cesse de se dégrader depuis cinq ans, ce qui signifie que notre parc de production devient peu à peu de moins en moins efficace et donc de plus en plus coûteux.

4/ Analyse de l’année 2013.

4.1 Détail de la production pour chaque demi-heure de l’année.

Le détail de la production électrique de 2013 au niveau de la demi-heure est fourni par RTE dans sa base annuelle « eCO2mix » 7, recensement de la production de chaque type d’énergie électrique pour chacune des 17 520 demi-heures de l’année.

Voici la reproduction de deux lignes courantes prises au hasard8 de cette base de données.
E3G3

Les chiffres sont exprimés en MW, puissance appelée pour chaque type de production pendant la demi-heure considérée.
La rubrique « consommation » représente la consommation intérieure française.
La rubrique « production » (qui est pratiquement égale à la « consommation ») est mal nommée : elle correspond en réalité à la production effective, diminuée du pompage et des exportations. Dans cet exemple, les productions effectives ont été respectivement de 52 624 et 57 462 MW, donc supérieures aux besoins intérieurs, et la France a exporté son électricité momentanément excédentaire.

4.2 Production et consommation annuelles.

Pour obtenir la production et la consommation de l’année en TWh, il suffit de faire le total des 17 520 lignes, de diviser par 2 puisqu’il s’agit de demi-heures, puis par 106 pour la conversion d’unités.

On retrouve ainsi approximativement les chiffres du tableau récapitulatif (approximativement car il y a quelques petites différences avec les bilans définitifs). Soit en TWh :

Production totale : 549 TWh
Consommation intérieure : 492 TWh
Pompages :   7 TWh
Exportations nettes : 49 TWh

Le graphique ci-dessous retrace l’évolution de la production sur l’ensemble de l’année.
E3G4
Ce graphique est plein d’enseignements. On voit que la production peut varier de 20 000 à 100 000 MW, avec évidemment des maxima en période hivernale. Le creux extrême correspond à la période du 15 août.

On voit aussi comment le thermique fossile fait face structurellement aux pics de consommation, supplée à l’absence d’éolien et s’efface devant lui. On comprend que ces sollicitations de plus en plus erratiques posent des problèmes techniques et financiers.

Enfin, le solaire est pratiquement inexistant, et ne fournit du courant en quantité significative qu’en période de basse consommation estivale.

4.3 Production des énergies intermittentes sur l’année.

On s’intéresse maintenant de plus près aux énergies intermittentes. Voici la chronique de l’année 2013, présentée de la même façon que précédemment mais avec des échelles différentes, et complétée (lignes en tiretés) par les capacités installées moyennes de l’année :
E3G5

La production maximum de l’année correspond à 70 % de la capacité nominale pour le solaire et 80% pour l’éolien (ce sont les maxima des facteurs de charge horaires), ceci pendant quelques jours par an seulement.

On peut aussi tracer les « monotones » de la production de ces deux sources d’énergie, en d’autres termes les courbes des productions horaires classées par ordre d’importance.
E3G6

On constate que les courbes décroissent très rapidement : ainsi, un examen sommaire montre que pendant 95% du temps soit 345 jours par an sur 365, la puissance disponible n’atteint pas la moitié de la puissance installée. Et bien entendu, le solaire ne produit rien pendant la moitié du temps. C’est ce qui explique leurs très faibles facteurs de charge.

En définitive, l’éolien, quoique les parcs soient répartis sur l’ensemble du territoire, apparaît comme totalement aléatoire et imprévisible, et donc rebelle à toute prévision et à toute programmation a priori.  Le solaire comporte une signature plus saisonnière donc un peu plus prévisible, mais il est également aléatoire et on peut même dire qu’il produit à contretemps.

4.4 Les pointes de consommation.

Si dans le courant de l’année, la production peut généralement faire face à la consommation, il existe des périodes critiques que sont les pointes ou pics de consommation. Comme on l’a vu, ces pointes adviennent lors de la période hivernale. Elles sont généralement observées en soirée. On considérera ici les 100 heures (200 demi-heures) les plus chargées de l’année 9.

Le graphique ci-dessous retrace le « monotone » de la consommation (demi-heures classées par ordre de consommation), ainsi que la contribution des différentes sources d’énergie pendant ces cent heures « critiques ».
E3G7
La contribution des différentes énergies pendant ces cent heures a été la suivante :

-nucléaire : 66%
-thermique fossile : 15,5%
-hydraulique : 15,5%
-Éolien : 1,8%
-Solaire : 0,4%

Les énergies intermittentes ont été pratiquement inexistantes.
Pendant la moitié des cent heures, nous avons dû importer de l’électricité. Pendant l’autre moitié, nous avons pu exporter nos excédents. En fin de compte, le bilan des MW achetés ou vendus a été équilibré.

Pourquoi s’intéresser aux 100 heures les plus chargées, qui ne représentent que peu de chose au regard des 8 760 heures de l’année et qui « consomment » une importante puissance de pointe ? La raison est simple : en 2013 (année qui n’est qu’un exemple) ces 100 heures se sont réparties sur 21 journées de janvier et février. Il serait inimaginable dans un pays développé comme le nôtre que l’on programme à l’avance un défaut d’alimentation électrique 21 jours de l’année, ne serait-ce qu’une heure dans la journée, et ceci au moment où les usagers en ont le plus besoin.

Dans la plupart des pays d’Europe, les gestionnaires de réseaux considèrent comme inacceptable des défaillances structurelles. Et même les défaillances accidentelles dues à des causes totalement imprévisibles doivent pouvoir être évitées si la réserve de puissance installée est suffisante.

5/ Les aspects financiers.

5.1 Les obligations d’achat.

Pour soutenir les énergies dites renouvelables et notamment intermittentes, qui ne sont structurellement pas rentables, l’État oblige EDF à acheter le courant électrique aux opérateurs – qui rappelons-le ont la priorité pour l’alimentation du réseau -en vertu de contrats conclus en règle générale pour des durées de quinze à vingt ans.

Les prix de rachat sont très supérieurs au prix moyen auquel se font les échanges d’électricité sur le marché européen, soit actuellement environ 45 €/MWh 10.
A titre d’ordres de grandeur et en valeur actuelle :
-solaire photovoltaïque : moyenne des contrats actuels, environ 480 €/MWh ; derniers appels d’offres, environ 200 €/MWh
-éolien terrestre : environ 90 €/MWh
-éolien offshore : selon les derniers contrats, environ 190 €/MWh

Les énergies intermittentes sont donc payées aux producteurs entre 2 et 10 fois le prix moyen du marché.

Ces obligations d’achat s’appliquent aussi à d’autres sources d’énergie non classiques, comme la cogénération au gaz (prix de rachat environ 140 €/MWh), les énergies utilisant la biomasse, le biogaz et l’incinération des déchets (prix de rachat 50 à 130 €/MWh) ainsi qu’à la « petite hydraulique » (prix de rachat moyen environ 70 €/MWh).

5.2 La contribution au service public de l’électricité.

En 2013, la France a produit l’électricité hors taxes la moins chère d’Europe 11, grâce à ses deux sources d’énergie principales qui sont à maturité et qui sont peu ou pas tributaires des cours mondiaux de matières premières d’importations : le nucléaire et l’hydraulique.

Mais depuis 2002, au tarif « normal » de l’électricité s’est ajoutée une taxe intitulée « contribution au service public de l’électricité » (CSPE), qui est destinée à compenser des dépenses mises à la charge d’EDF :

-les tarifs réduits sociaux dits « tarifs de première nécessité » (TPN) pour les personnes « en précarité énergétique » (c’est-à-dire qui ont des difficultés à payer leur électricité), soient plus de 1,6 millions de foyers en 2013, effectif en forte augmentation ;
-les charges d’approvisionnement des « zones non interconnectées » (ou ZNI : Corse, îles, DOM) 12 ;
-les subventions à la cogénération électricité-chaleur (en baisse du fait de l’expiration des contrats les plus anciens) et aux énergies issues de la combustion de biomasse ou de déchets ;
-et surtout depuis 2010 les subventions aux énergies intermittentes sous forme d’obligations d’achat par EDF, qui représentent actuellement 60% de la CSPE, en forte hausse.

La CSPE, d’abord modeste, puis régulièrement et fortement croissante, est retracée dans tableau ci-dessous (tarif pour un particulier dont la consommation est moyenne (sans chauffage électrique), exprimé en € / MWh, hors autres taxes et hors TVA).

E3G8

Le poste « CSPE » figure explicitement sur la facture bimestrielle EDF. Actuellement, la CSPE majore donc de 19% le prix de l’électricité (contre 6% jusqu’en 2010). Si le développement des énergies intermittentes se poursuit ce qui sera le cas, la CSPE devrait encore augmenter de façon importante, et avec elle le prix de l’électricité 13.

C’est le CRE qui calcule chaque année les besoins en CSPE et propose au gouvernement la majoration du tarif de l’électricité nécessaire pour compenser les charges. Mais le gouvernement, pour des raisons politiques, ne respecte pas les recommandations du CRE, et accumule donc une dette à l’égard d’EDF, dette qu’il faudra acquitter un jour, soit par une majoration encore plus forte du prix de l’électricité, soit par l’impôt. Le CRE évalue cette dette à 3,5 milliards d’euros fin 2012.
A titre indicatif, la majoration pour 2014 aurait dû être selon le CRE de 22,50 €/MWh au lieu de 16,5 €/MWh (ce qui aurait déterminé une majoration de 25% du tarif).

5.3 Montant total des charges de service public de l’électricité.

Le CRE, dans un rapport daté octobre 2014, a récapitulé les montants totaux que les charges de service public répercutées sur le CSPE ont représenté sur la totalité de la période 2002-2013. Ces chiffres sont les suivants.

-Obligations d’achats hors ZNI (milliards d’euros)
E3G9

La proportion élevée de la cogénération pour cette période (9,2 milliards sur 18,8) s’explique par le fait que les subventions à cette source d’énergie existent depuis plus de quinze ans, contrairement aux énergies intermittentes, qui sont plus récentes. Celles-ci vont naturellement prendre de plus en plus d’importance dans la CSPE au fil des années.
-Péréquation et obligations d’achats ZNI : 9,6 milliards d’euros
-Tarifs de première nécessité : 0,9 milliards d’euros

Soit un total de plus de 28 milliards d’euros sur les 12 années, mais avec une rapide montée en puissance : la CSPE a ainsi été de 5,1 milliards d’euros en 2013 et sera probablement de 5,7 milliards d’euros en 2014.

Pour la période 2014-2025, le CRE, moyennant un certain nombre d’hypothèses 14, prévoit une charge passant de 5,7 à plus de 10 milliards d’euros par an, soit une charge totale cumulée de l’ordre de 100 milliards d’euros sur la période, dont environ 60 milliards pour les énergies intermittentes.

1 « Load factor » en anglais.
2 La baisse momentanée de 2009 peut être expliquée par la crise financière de l’époque.
3 Rappelons qu’à l’heure actuelle les éoliennes sont exclusivement terrestres ; cette situation durera au moins jusqu’en 2020, date à laquelle les premières éoliennes offshore devraient entrer en service. Ces dernières sont généralement créditées d’un facteur de charge supérieur (30% ou plus ?), mais toujours dans l’hypothèse d’une priorité d’accès au réseau.
4 C’est même le contraire puisque le solaire cesse évidemment de produire lors des précoces soirées d’hiver, et l’éolien lors des épisodes d’anticyclones. Les mauvaises langues disent que la propriété des énergies intermittentes est de fournir du courant lorsque l’on n’en a pas besoin, et de faire défaut lors des pointes.
5 Les anglo-saxons utilisent le terme de « back-up » que l’on peut traduire par « réserve » ou « sauvegarde ».
6 C’est ce qui se passe en Allemagne autant que l’on sache.
7 RTE évalue aussi les émissions de CO2, ce qui n’est qu’un sous-produit de leur base de données.
8 Un jour de juillet 2013, respectivement une demi-heure de nuit et de jour, d’où les chiffres très disparates notamment pour la consommation intérieure, le solaire et le pompage.
9 Dans le domaine routier interurbain, les infrastructures sont dimensionnées traditionnellement pour la trentième heure de l’année, c’est-à-dire que l’on tolère trente heures de grave perturbation de circulation.
10 Il s’agit là d’un prix moyen ; en effet, les cours d’achat varient continuellement en fonction de l’offre et de la demande ; ils peuvent même devenir négatifs en cas de surproduction momentanée dans un des pays interconnectés.
11 Exception faite de la Bulgarie et de la Roumanie.
12 Le coût de production dans les ZNI est environ 5 fois plus cher qu’en métropole, alors que le prix payé par les usagers est le même en vertu de la continuité territoriale ou  de la péréquation.
13 Ceci d’autant plus que le nombre de bénéficiaires des tarifs électriques « sociaux » ne cesse d’augmenter, notamment en raison de la hausse des prix. Le CRE estime que le nombre de foyers bénéficiaires pourrait atteindre 4 millions.
14 Qui sont pourtant en-deçà des préconisations de la future loi de transition énergétique, autant qu’on sache.

CONSIDÉRATIONS SUR LES ÉNERGIES INTERMITTENTES.

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1. Introduction.

Les données utilisées sont pour l’essentiel issues des deux documents statistiques qui comportent des séries internationales longues complètes et mises à jour :

-la publication statistique annuelle de British Petroleum (BP) : Statistical Review of world energy, édition 2014, qui comporte des séries longues mondiales pour toutes les sources d’énergies, jusqu’en 2013 inclus ;

-le « pocketbook » 2014 publié par la direction de l’énergie de la commission européenne, qui comporte des séries pour l’Union européenne dans son ensemble et pour chaque Etat de l’UE, jusqu’en 2012 inclus ; ces séries proviennent d’Eurostat, d’où la mention « source Eurostat » sur les graphiques.

En outre on a consulté pour la France les documents publiés par le comité de régulation de l’énergie (CRE).

Le terme d’« énergies intermittentes », désigne génériquement deux des sources de production d’électricité dites « renouvelables » : l’énergie éolienne et l’énergie solaire. Ce terme est notamment utilisé par la Commission européenne et Eurostat pour les distinguer des autres énergies, qu’elles soient renouvelables (biomasse, déchets etc.) ou non renouvelables. On pourrait tout aussi bien les qualifier d « aléatoires » si ce terme n’avait pas une charge péjorative.

2. La production électrique et la place des énergies intermittentes.

2.1. La production électrique totale.

On trouvera ci-après un ensemble de graphiques représentant l’évolution de la production électrique selon les différentes sources d’énergies, et ceci respectivement pour :

  • les cinq principaux Etats de l’UE (plus le Danemark pour des raisons qui seront expliquées)
  • l’Union européenne,
  • les pays de l’OCDE 1,
  • les pays n’appartenant pas à l’OCDE
  • le monde entier.

A la lecture de ces graphiques, on voit que l’Union européenne a pratiquement stabilisé sa production électrique depuis une dizaine d’années, avec même une légère décroissance dans certains États. Il en va à peu près de même dans l’ensemble des pays de l’OCDE.

Par contre, dans les États moins développés qui n’appartiennent pas à l’OCDE, la production électrique continue à augmenter car les populations de nombreux pays dits « en développement » n’ont encore que partiellement accès à l’électricité.

E2G1P1

E2G1P2

Selon la Banque mondiale, le pourcentage de population qui n’a pas accès à l’électricité va de 40% à 85% en Afrique subsaharienne, de 25% à 40% en Asie du sud-est (hors la Chine qui est pratiquement à jour) et 10% à 20% dans certains pays d’Amérique centrale. On estime à 1,2 milliards de personnes la population non encore raccordée, dont 600 millions en Afrique.

De plus, les habitants qui sont « raccordés » à l’électricité ne disposent pas tous, et de loin, d’une puissance installée ni d’une régularité de livraison capable de satisfaire leurs aspirations, car l’électricité peut y être plus ou moins insuffisante, irrégulière ou dégradée.

A titre de comparaison, on peut par exemple prendre comme critère la production électrique rapportée à la population ; les chiffres suivants sont relatifs à l’année 2013.

  • Les États de l’OCDE dans leur ensemble ont produit 11 000 TWh pour 1 260 millions d’habitants, soit 8,7 TWh/Mhab 2.
  • Les États non-OCDE ont produit 12 000 TWh pour 6 000 millions d’habitants, soit 2,0 TWh/Mhab ; pour aboutir aux standards « occidentaux », il faudrait qu’ils produisent 52 000 TWh, ce qui au rythme actuel de croissance prendrait plus d’un demi-siècle.

On voit l’étendue des besoins restant à satisfaire, et qui explique la forte croissance de la production dans les pays en développement.

2.2. Les énergies intermittentes.

Les graphiques précédents montrent que l’éolien et le solaire n’ont commencé à se développer notablement qu’assez récemment : l’éolien depuis une dizaine d’années, le solaire depuis cinq ou six ans.

Le tableau ci-après fournit un aperçu des pourcentages de production d’électricité intermittente en 2013 dans un certain nombre de pays et de groupes de pays ; ce tableau est classé par ordre décroissant de production intermittente (on a aussi indiqué pour mémoire les pourcentages d’énergie fossile, hydro-électrique et nucléaire). Dans tous les autres pays du monde, le pourcentage de production intermittente est inférieur à 1%

Pourcentages de production d’électricité intermittente en 2013.E2G2

La part des énergies intermittentes est de 10% dans l’Union européenne et 5% dans l’OCDE. Par contre, leur part dans les autres pays du monde reste encore modeste, inférieure à 2%.

L’essor est donc apparu surtout dans les pays développés, c’est-à-dire les pays dont les besoins en électricité étaient déjà amplement satisfaits, qui disposaient de sources d’énergies permanentes et fiables, et qui pouvaient donc se permettre de procéder à une diversification vers des énergies réputées renouvelables et plus aléatoires.

Cette politique de diversification a été stimulée par le souci de réduire les émissions de CO2 (pour des raisons qui ne seront pas discutées ici) et donc de restreindre le recours aux énergies fossiles, et aussi par une certaine méfiance des opinions publiques à l’égard de l’énergie nucléaire. Sans oublier la puissance de certains lobbies et le conformisme des pouvoirs politiques.

Le Danemark occupe le tout premier rang au monde avec près du tiers d’énergie éolienne, ce qui résulte d’un choix politique 3. Sa production électrique annuelle varie très irrégulièrement d’une année à l’autre ce qui illustre assez bien son caractère intermittent ; le Danemark atténue ces irrégularités par une énergie fossile encore conséquente (plus de 50%) 4 et des échanges fréquents avec notamment ses voisins scandinaves qui disposent de sources permanentes, à savoir hydraulique et nucléaire pour la Suède, hydraulique pour la Norvège.

Les États du sud de l’Europe ont tiré parti de leur ensoleillement et/ou d’un régime de vents favorable, les États du nord ont tiré parti du vent régnant sur les côtes de la mer du nord.

Le cas de l’Allemagne est particulier, car ce pays n’est particulièrement favorisé ni par le vent ni par le soleil : il résulte d’une volonté politique forte dont les résultats restent d’ailleurs discutables à plusieurs égards.

Enfin la France, qui dispose de près de 90% d’énergies non émettrices de CO2,et qui n’avait donc pas les mêmes raisons de s’engager dans cette politique, ne s’est décidée que plus tardivement à suivre le mouvement.

Autre fait à signaler, le Japon vient de basculer 250 TWh (soit 25% de sa production) du nucléaire vers les énergies fossiles pour les raisons que l’on sait.

2.3 Conséquences des énergies intermittentes sur le recours aux énergies fossiles.

L’objectif principal de réduction des émissions de CO2 n’a pas été atteint puisque le recours aux énergies fossiles n’a fait qu’augmenter dans l’intervalle. En effet, seule l’Union européenne a réussi à inverser la tendance, mais son poids dans l’ensemble du monde est très modeste : environ un dixième de l’électricité fossile, ce poids étant en diminution constante et pour cause.

Le graphique ci-après illustre bien ce phénomène. On y a distingué trois ensembles : l’Union européenne, l’OCDE moins l’UE, enfin les pays non-OCDE.

E2G3

En dix ans, l’UE a réduit sa production d’électricité fossile annuelle de 300 TWh, mais les autres pays de l’OCDE l’ont augmentée de 500 TWh, et les pays non-OCDE de 4 200 TWh. Soit au total 4 400 TWh fossiles de plus en 2013 qu’en 2003.

3. Disponibilité des énergies intermittentes.

3.1 Le facteur de capacité.

Pour mesurer la disponibilité d’une source d’énergie, on a recours au concept de « facteur de charge » ou « facteur de capacité » 5.
Si on divise la production électrique annuelle observée exprimée en watt-heure (Wh) par la puissance installée exprimée en watts (W) on obtient un nombre d’heures annuel de production, soit N heures par an.
Le facteur de capacité est défini comme étant le rapport « N heures / 8 760 heures (année entière) », exprimé en général sous forme de pourcentage.

A titre de référence, le facteur de capacité de l’énergie nucléaire est de l’ordre de 80% à 90% selon les États (de l’ordre de 80% en France). Un parc nucléaire ne fonctionne pas toute l’année à pleine puissance, puisqu’il subit nécessairement des interruptions pour maintenance et entretien, incidents éventuels, travaux d’amélioration et de mise à jour des centrales anciennes, rechargement et déchargement de combustible, etc.

Les deux graphiques ci-après représentent l’évolution des facteurs de capacité de l’éolien et du solaire dans un certain nombre de pays caractéristiques, ainsi que ceux de l’ensemble de l’Union européenne et du monde entier.

E2G4

Compte tenu de l’évolution rapide, d’une année à l’autre, des capacités installées dans certains pays, on a préféré comparer la production de l’année n à la capacité moyenne de l’année, soit (Cn + Cn-1)/2. Notons que les bases de données du solaire sont parfois contradictoires et douteuses ; elles comportent de nombreuses anomalies et des valeurs aberrantes. C’est pourquoi le nombre de pays sélectionnés est réduit. On peut toutefois penser que les valeurs globales (UE et monde) sont assez fiables vu le nombre de pays concernés.

Sans détailler ces résultats, on peut retenir comme valeurs moyennes actuelles :

-Pour l’éolien, un facteur de capacité compris entre 18% et 30%, avec une valeur moyenne de 24% (21% en France en 2013). La valeur élevée du Royaume-Uni s’explique par l’importance de l’éolien offshore (plus du tiers du total de la puissance installée) dont le facteur de capacité semble être de l’ordre de 35% 6. Il est d’ailleurs assez normal que l’éolien offshore, qui coûte environ deux fois plus cher que l’éolien terrestre, ait des performances supérieures.

-Pour le solaire photovoltaïque, un facteur de capacité compris entre 10% et 20%, avec une valeur moyenne de 12% (11% en France en 2013). On ne s’étonnera pas des valeurs élevées observées en Espagne, pays ensoleillé. Par ailleurs, il n’est pas surprenant que le solaire soit deux fois moins disponible que l’éolien, puisque par définition il n’est susceptible de produire que la moitié du temps.

Si l’on en juge par l’allure des courbes, il semble que ces valeurs se soient légèrement améliorées en dix ans, ce qui s’explique par les progrès technologiques réalisés dans l’intervalle, alors même que les installations, généralement récentes, n’ont pas encore subi les effets de l’usure et du vieillissement.

3.2 Conséquences de la disponibilité des énergies intermittentes.

Quoiqu’il en soit des valeurs précises des facteurs de capacité, on peut retenir deux conclusions importantes :

-à puissance installée égale, l’éolien produit environ trois à quatre fois moins d’électricité qu’une centrale nucléaire et le solaire environ six à huit fois moins ;

-on ne peut compter sur l’éolien et le solaire pour satisfaire à tout instant les besoins en électricité. A certains égards, on peut même dire que ces types de production fonctionnent souvent à contre-emploi (pas de solaire la nuit où on a précisément besoin d’éclairage, pas de vent lors des épisodes anticycloniques de grands froids ou de fortes chaleurs, etc.).

Le caractère intermittent de ces deux types d’énergie leur est inhérent et il est inévitable, car leur électricité n’est pas produite en fonction de la demande mais en fonction de l’alternance jour-nuit, du climat local et de la météorologie.
Ce caractère intermittent a deux conséquences :

-pour éviter que cette électricité soit produite en pure perte, il faut donc l’introduire de force dans le réseau de distribution, en lui donnant si nécessaire la priorité sur les autres sources.

-de façon symétrique, lorsque les énergies intermittentes s’interrompent, il faut mobiliser presque instantanément d’autres sources d’énergie pour répondre à la demande.

En effet, on sait que l’électricité ne peut être stockée de façon massive avec les technologies existantes. Il est possible que ce problème trouve sa solution dans le grand avenir mais cette solution nécessitera des installations spécifiques coûteuses et dont les coûts d’investissement et d’exploitation devront être ajoutés aux coûts de production pour respecter la réalité économique.

Par ailleurs, dans le cas d’excédents et de déficits, les échanges d’électricité entre pays producteurs ne peuvent se faire qu’à des distances relativement modestes, c’est-à-dire entre États immédiatement voisins, notamment pour des raisons de pertes en ligne 7. Le système ne dispose donc pas de la souplesse que permettraient des échanges à longues distances. Là encore, il est possible que ce problème trouve sa solution dans l’avenir, mais moyennant encore des coûts supplémentaires.

Le développement de ces sources d’énergie rend donc indispensable la présence d’énergies de substitution capables de suppléer sans délai aux carences des intermittentes. Seules les centrales thermiques classiques au charbon, au fioul ou au gaz sont susceptibles d’un démarrage rapide pour répondre à cette obligation. Le problème est que, comme la priorité est données aux intermittentes, les centrales thermiques classiques deviennent elles aussi intermittentes malgré elles, ce qui diminue leur rentabilité et peut conduire à leur fermeture. On arrive alors au paradoxe consistant à rémunérer des centrales thermiques simplement pour qu’elles restent en place en stand-by, voire à subventionner des remises en route de centrales ayant fermé.

Non seulement ce dispositif entraîne des coûts supplémentaires, mais il contribue à augmenter les émissions de CO2 ce qui est semble-t-il le contraire du but principal recherché 8.

4. Coût de production des énergies intermittentes.

On s’en tiendra au cas de la France, pour laquelle on dispose de données récentes et indiscutables grâce au comité de régulation de l’énergie (CRE) 9 qui tient une comptabilité précise des éléments techniques et financiers concernant la production électrique.

Le gouvernement lance périodiquement des appels d’offres en vue de la fourniture d’électricité éolienne et solaire. Selon l’importance des lots, les candidats peuvent aller depuis de petites sociétés locales, jusqu’à des consortiums d’énergéticiens européens (c’est le cas plus particulièrement pour l’éolien offshore). Le CRE est sollicité pour donner un avis sur la dévolution de ces appels d’offres. On ne détaillera pas ici le contenu des contrats qui sont ensuite passés avec les fournisseurs. En substance, ces contrats comportent une durée (en général 15 à 20 ans à compter de la mise en service) et un prix d’achat garanti pendant toute cette durée, avec quelques modalités complémentaires.

Comme il s’agit d’appels d’offres ouverts à la concurrence, on peut penser que les prix d’achat proposés par les adjudicataires reflètent correctement les coûts de production estimés.
A titre indicatif, et au vu des derniers appels d’offres, les tarifs de rachat sont d’environ :

  • -85 €/MWh pour l’éolien terrestre (environ 2 fois le tarif de référence)
  • -180 €/MWh pour l’éolien offshore (environ 4 fois le tarif de référence)
  • -150 €/MWh pour le photovoltaïque (environ 3 fois le tarif de référence).

On désigne par tarif de référence (en simplifiant) le tarif auquel l’électricité s’échange au niveau européen en moyenne sur l’année, soit actuellement environ 45 €/MWh.

Les distributeurs, au premier rang desquels EDF, ont ensuite l’obligation d’acheter l’électricité à ces fournisseurs, aux prix fixés par leurs contrats.

EDF refacture ce supplément à ses clients, dans le cadre d’une « contribution au service public de l’électricité » (CSPE) qui figure sur la facture mensuelle ou bimestrielle 10.

En 2014, les obligations d’achat d’électricités dites « renouvelables » auront représenté une majoration de l’ordre de 10% de la facture des usagers particuliers. Cette majoration, déjà reconnue comme insuffisante pour compenser les obligations d’achats, ne cesse d’augmenter d’année en année.

On n’entrera pas dans les détails concernant ces mécanismes. D’une façon plus générale, les aspects financiers du recours accru aux énergies intermittentes mériteraient d’amples développements. En raison des déséquilibres physiques qu’elles engendrent (brusques excédents à des moments inopportuns et vice-versa) elles sont susceptibles de désorganiser la répartition du courant sur le réseau interconnecté et par corollaire le marché des prix « spot » de l’électricité 11.

5. Conclusions.

Autant que l’on sache, les deux principales raisons alléguées par l’UE en faveur de sa politique énergétique sont, d’une part la réduction du recours aux énergies fossiles et des émissions de CO2, d’autre part la réduction de la dépendance énergétique. On y ajoute parfois le désir de servir d’exemple au monde entier.

On a vu ce qu’il en était du recours aux énergies fossiles. Ce problème serait de toute façon mondial et l’UE ne pèse dans ce domaine que de façon de plus en plus marginale, ce qui montre que le reste du monde est loin de partager notre enthousiasme.

L’Union européenne a cru devoir s’engager résolument et à grand frais dans les énergies intermittentes : pour une population égale à 7% de la population mondiale, l’UE compte actuellement 35% de la puissance installée en éolien et 55% en photovoltaïque. Les conséquences économiques de ce choix commencent à se faire sentir, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni, où des voix s’élèvent pour réclamer un ralentissement (voire un moratoire) des investissements en matière éolienne et photovoltaïque. Les récriminations portent notamment sur l’augmentation du prix de l’électricité qui nuit à la compétitivité ainsi que sur les risques de coupures de courant en hiver.

De toute évidence, le monde ne pourra pas se sortir du sous-développement énergétique et électrique à l’aide de l’éolien et du solaire 12, mais en utilisant les ressources fossiles. Celles-ci sont quasi-inépuisables à vue humaine, largement réparties au travers du globe (comme on commence à le découvrir), leur extraction et leur transformation font appel à des techniques éprouvées, et elles peuvent être transportées aisément à de grandes distances.

Les énergies intermittentes n’ont pu et ne pourront dans l’avenir se développer que moyennant des subventions massives (plus de 3 milliards d’euros pour l’année 2014 en France, qui n’est pourtant pas en pointe dans ce domaine). Elles représentent pour les utilisateurs d’électricité – particuliers et entreprises, c’est-à-dire en fin de compte tous les citoyens – un coût supplémentaire qui ne peut aller qu’en s’aggravant.

L’intermittence qui leur est inhérente ne pourrait être corrigée ou compensée que par des dispositions de caractère futuriste – et de toute façon coûteuses – de stockage, de distribution et de transport d’énergie électrique.

Enfin, et c’est une question qui n’a pas été abordée ici, ces sources d’énergies ne sont pas sans comporter quelques inconvénients qui n’ont pas encore tous été dévoilés 13.

Toutes ces considérations ne constituent pas un motif suffisant pour condamner les énergies intermittentes, ne serait-ce que parce que les technologies qu’elles contribuent à développer peuvent engendrer des applications imprévues et bénéfiques.

Mais il serait raisonnable de ne pas céder aux engouements, et de leur réserver dans les politiques énergétiques la part qu’elles méritent qui ne saurait être que limitée.

1 Organisation de développement et de coopération économique, regroupant actuellement les 34 États les plus développés (dont 21 Etats de l’Union européenne), représentant 18% de la population mondiale (1,26 milliards d’habitants sur 7,3 milliards) et 63% du PIB mondial (47 milliards de dollars sur 75 milliards).
2 Pour les États de l’Union européenne : entre 5 et 10 TWh/Mhab (sauf quelques exceptions). Pour la Chine, réputée entièrement raccordée (?) : 3,9 TWh/Mhab. Pour l’Inde, seulement 0,9 TWh/Mhab, etc.
3 Il existe au Danemark 4 700 éoliennes (dont 500 offshore) répartis dans 1 150 « parcs ». Si elles étaient réparties sur l’ensemble
du territoire, on aboutirait à un quadrillage d’une éolienne tous les 3 km.
4 Le Danemark prétend éliminer l’électricité fossile en 2035 : l’expérience sera intéressante à suivre ; toutefois, l’organisation
énergétique du Danemark est très spécifique et elle paraît impossible à transposer dans de grands pays.
5 C’est le terme de « facteur de capacité » ou « capacity factor » qui est utilisé par Eurostat. On le retiendra ici.
6 Lors des deux derniers appels d’offres lancés en France, les facteurs de capacité escomptés par les adjudicataires étaient en 2012 de 35% (6,8 TWh / an pour 1 928 MW installés) et en 2014 de 40% (3,9 TWh / an pour 992 MW installés) ; cette dernière valeur paraît très optimiste, surtout tout au long des 20 ans de production prévus, ce qui pourrait ouvrir la porte à des contentieux.
7 La France (qui est exportatrice nette d’électricité sur l’année) importe et exporte exclusivement avec ses sept voisins immédiats.
8 C’est ce qui est en train de se passer en Allemagne. Mais ce sujet mériterait un développement spécial.
9 Site http://www.cre.fr/
10 La CSPE ne comporte pas uniquement la compensation des obligations d’achats des intermittentes, mais aussi celles d’autres
énergies renouvelables (biomasse) et de cogénération, ainsi que diverses contributions, sociales et autres.
11 De sorte qu’il peut arriver que les prix d’achat de l’électricité deviennent négatifs en cas de surproduction momentanée.
12 Ni en détruisant des forêts au motif que le bois combustible serait « renouvelable ».
13 Parmi les opposants aux éoliennes, on commence à trouver des associations écologistes.

COMMENTAIRES SUR L’ÉNERGIE SOLAIRE A CONCENTRATION.

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1. Introduction.

Il existe trois modes industriels principaux d’utilisation de l’énergie du soleil :

-le solaire thermique, utilisé directement pour le chauffage et l’eau chaude ;

-le solaire photovoltaïque, qui transforme directement l’énergie solaire en électricité ;

-le solaire dit « thermodynamique » ou « à concentration », qui comme son nom l’indique consiste à concentrer le rayonnement du soleil vers une zone focale (ponctuelle ou linéaire) où l’on a disposé un réservoir de liquide. Par ce moyen, le liquide dit « caloporteur » est chauffé à très haute température et constitue en quelque sorte une source d’énergie thermodynamique secondaire. Celle-ci est alors utilisée pour produire de l’électricité, selon des procédés analogues à ceux des centrales thermodynamiques classiques (avec lesquelles le solaire à concentration peut d’ailleurs être couplé).

C’est cette troisième technique qui sera traitée ici.

Les indications et les chiffres qui suivent sont issus de deux sources principales : EurObserv’ER (baromètre solaire, mai 2014) et CSP World (Concentrated solar power), ainsi qu’Eurostat et diverses sources industrielles 1 .

On mentionnera les termes anglo-saxons à la suite des termes français.

2. Technologies actuelles.

On distingue en général quatre types de centrales solaires à concentration (définitions sommaires) :

-centrales à collecteurs cylindro-paraboliques (parabolic trough, trough signifie auge) ; un miroir parabolique de forme allongée renvoie le rayonnement vers un tube parallèle au miroir ;

-centrales à tour (central receiver, power tower) : des miroirs renvoient le rayonnement vers un point focal situé en haut d’une tour ;

-centrales à réflecteurs à miroirs de Fresnel linéaires (CLFR) : les miroirs sont en général du type cylindro­paraboliques, mais avec des courbures plus faibles ; leur orientation peut éventuellement varier ;

-centrales à capteurs paraboliques (dish Stirling, du nom de l’inventeur d’un moteur) : un miroir parabolique renvoie le rayonnement vers un moteur à combustion externe ;

Le couplage avec d’autres procédés thermodynamiques (centrales hybrides) est connu sous la dénomination ISCC (Integrated solar combined cycle).

Les liquides caloporteurs peuvent être des huiles ou des sels fondus.

On ne détaillera pas les aspects techniques de ces différents procédés, qui sont d’ailleurs en évolution.

3. Avantages et limitations.

L’avantage principal de cette technique est l’interposition d’un circuit de chaleur entre le rayonnement solaire et la production d’électricité. De ce fait, la chaleur peut être emmagasinée et on atténue ainsi le caractère intermittent du solaire, en prolongeant l’efficacité de quelques heures après le coucher du soleil (les nombres d’heures annoncés par les sites spécialisés sont à prendre avec circonspection).

Cela étant, les promoteurs de la technique reconnaissent eux-mêmes que ces procédés ne sont viables que dans les régions du monde les plus ensoleillées, recevant au moins 1 900 kWh par m2 et par an, c’est-à-dire les zones teintées en jaune de la carte ci-dessous, qui se situent exclusivement au sud du 40ème parallèle.
E4G1

On reconnaîtra sans peine les principaux déserts de la planète, ce qui n’est pas un hasard.

Compte tenu des surfaces importantes que nécessitent ces installations pour obtenir des puissances installées significatives, les sites possibles se limitent précisément aux zones désertiques ou semi-désertiques, ou en tous cas peu peuplées. En outre, ces zones doivent si possible éviter la présence proche de massifs montagneux qui porteraient ombre en début et en fin de journée.
En Union européenne, les seules zones répondant à ces critères se trouvent dans le sud de l’Espagne et les îles de la Méditerranée.

4. Implantations et puissances installées, actuelles et futures.

Actuellement, on compte dans le monde 118 centrales en service, totalisant 3 820 MW installés, dont :
-82 centrales commerciales (3 780 MW installés, soit en moyenne 46 MW/centrale 2)
-12 centrales de démonstration (quelques MW/centrale)
-24 centrales de recherche et développement (quelques MW/centrale)

-Centrales commerciales en service : le tableau ci-dessous en donne le détail à fin 2013 (source CSP).
E4G2

Sur les 72 centrales cylindro-paraboliques, 6 sont couplées (système ISCC) avec des centrales thermodynamiques utilisant des combustibles divers (180 MW au total).
Les puissances installées se trouvent pour 62% en Espagne (dont les 51 centrales ont été mises en service pour l’essentiel entre 2009 et 2013) et 31% aux Etats-Unis. Le reste est partagé entre une douzaine de pays qui ne disposent en général que d’une seule centrale (mais 2 aux Emirats Arabes Unis et 2 en Inde).

Centrales commerciales en construction : le tableau ci-dessous en donne le détail en 2014 (source CSP). Les dates de mises en service ne sont pas précisées.
E4G3

Les centrales cylindro-paraboliques sont nettement prépondérantes, qu’il s’agisse des centrales en service ou en construction.

Centrales commerciales à l’étude : CSP fait état de projets réputés « en développement » :19 projets pour une puissance totale de 4 800 MW installés. Parmi ceux-ci, 2 centrales de 500 MW aux USA et 2 000 MW pour le projet tunisien « TuNur », et aucun en Espagne. Il s’agit majoritairement de centrales à tour. Ces projets semblent être à moyen ou long terme, si toutefois ils voient le jour.

Centrales commerciales abandonnées : 7 projets de centrales (1 000 MW) ont été abandonnés.

Perspectives plus lointaines : annoncées par des organismes officiels, nationaux, européens ou internationaux, ou encore par des industriels, elles devraient inspirer la plus grande méfiance 3. On a vu que l’Espagne, pays pionnier, n’a plus aucun projet en construction ni à l’étude, la raison principale étant la remise en cause des subventions qui avaient permis l’édification de son parc solaire.

En supposant que tous les projets « en développement » voient le jour dans les dix ans, ce qui est très optimiste, et qu’aucune centrale existante ne ferme d’ici là, on aboutirait en 2025 à environ 130 centrales pour une puissance installée de 10 500 MW, soit (avec un facteur de charge de 27%, voir ci-après) une production annuelle de 25 TWh pour le monde entier. A titre de comparaison, cette production équivaut à 4,5% de la production totale d’électricité en France (550 TWh).

5. Facteur de charge.

On rappelle que le facteur de charge est défini comme le rapport (généralement exprimé en pourcentages) entre la production réelle sur l’année et la production théorique calculée à partir de la puissance installée supposée produire pendant les 8 760 heures de l’année.

On prendra le cas de l’Espagne qui dispose du premier parc du monde, et qui a déjà quelques années d’expérience -sachant toutefois que ses installations sont relativement récentes et n’ont pas encore affronté l’épreuve du temps, de l’usure et des dégradations.

Le tableau ci-après permet de comparer les performances du solaire thermodynamique à celles du solaire photovoltaïque. La puissance installée annuelle de l’année n est calculée en faisant la moyenne des puissances installées en fin d’années n-1 et n, elle est donc approximative, de même que les facteurs de charge.

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Par conséquent, à climat égal le facteur de charge du thermodynamique est supérieur à celui du photovoltaïque, ce qui est normal, mais ceci dans des proportions relativement modestes.

Certaines données américaines font état de facteurs de charge supérieurs (plus de 30%) ; toutefois, l’exemple de l’Espagne est significatif de la situation géographique et climatique du sud de l’Europe et par conséquent du potentiel éventuel de cette technique de production dans l’Union européenne.

Il faut enfin rappeler que la production solaire espagnole représente, par rapport à sa production brute d’électricité, respectivement 2,8% pour le photovoltaïque et 1,5% pour le solaire thermodynamique.

6. Coûts et subventions.

Les données suivantes sont empruntées à EurObserv’ER qui cite lui-même Irena (International Renewable Energy Agency) quant aux coûts de production en 2012.
Le facteur de charge est supposé compris entre 27% (régions les plus ensoleillées) et 20% (les moins ensoleillées).

-cylindro-parabolique : 290 à 380 €/MWh ;
-cylindro-parabolique avec système de stockage : 170 à 370 €/MWh.

-centrales à tour avec système de stockage ; 200 à 290 €/MWh

Pour les pays européens, ce sont les hauts de fourchettes de coûts qu’il faut retenir (les bas de fourchettes correspondent à des pays hors OCDE en général très ensoleillés).

Ces ordres de grandeur suffisent pour se faire une idée de ce qu’est ou serait actuellement le coût de production en Europe du solaire thermodynamique, soit entre 290 et 380 €/MWh.
En France le dernier appel d’offres lancé par le CRE a abouti à un tarif d’achat garanti de 349 €/MWh, ce qui confirme les chiffres précédents.

Par rapport au prix moyen de l’électricité sur le marché européen (environ 50 €/MWh), le solaire thermodynamique serait donc actuellement 7 fois plus cher.

7. Conclusions.

Pour avoir une idée de l’avenir de ce type de production électrique, il est bon de rappeler un certain nombre de faits.

-Il s’agit d’une énergie intermittente. Les dispositifs qu’on lui adjoindrait pour remédier à ce grave inconvénient ne peuvent que renchérir le coût de l’investissement et donc de la production, sans annuler son caractère intermittent.

-Cette énergie est très coûteuse, même dans des endroits privilégiés par le climat. Elle ne peut se développer qu’au prix de subventions considérables.

-A regarder la carte mondiale des ensoleillements, on peut penser au premier abord que l’espace ne manque pas pour implanter ces centrales, qui exigent des surfaces importantes. Toutefois, et ceci n’est pas un hasard, les régions privilégiées par les forts ensoleillements sont le plus souvent des régions arides, inhospitalières, inhabitées ou presque, et par conséquent éloignées des gros centres de consommation électrique. Or l’électricité ne peut être transportée sur de longues distances sans importantes pertes de charge.

-Il est séduisant pour les pays qui manquent de place ou de soleil d’imaginer sur le papier des installations énormes dans les déserts des pays du sud. L’application sur le terrain serait tout autre chose : ces régions sont souvent caractérisées par des frontières incertaines et disputées, des conflits ethniques et des incursions violentes qui ne vont pas s’interrompre comme par enchantement. Ces violences (dont on a vu quelques exemples récents) seraient évidemment exacerbées du fait des intérêts économiques et financiers liés à des installations industrielles de cette importance. La menace sera donc permanente aussi bien au stade de la construction qu’à celui de l’exploitation.

-La mise sur pied de telles opérations ne peut se faire par la contrainte. Elle nécessitera immanquablement des négociations pluripartites, avec des États ou des groupes organisés dont on connaît la propension aux surenchères et aux discussions interminables, et qui attendent au tournant les nations réputées riches. La longueur des procédures ne constitue pas un obstacle rédhibitoire, mais il serait imprudent de s’engager financièrement et techniquement sans garanties suffisantes et surtout en tablant sur des délais irréalistes.

La solution la plus raisonnable serait de laisser les choses en l’état, c’est-à-dire de terminer les constructions entreprises, éventuellement de donner suite à quelques projets modestes de centrales commerciales et à des installations de démonstration et de recherche et développement pour faire évoluer la technologie, et d’observer comment tout cet ensemble fonctionnera et vieillira.

En tout état de cause, on a vu que même dans une perspective moins raisonnable, la production solaire thermodynamique à concentration – et donc son coût global pour la collectivité – n’occuperait qu’une part extrêmement modeste dans la production électrique.

Mais on sait que la raison n’est pas toujours ce qui caractérise la politique énergétique.

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1 L’inconvénient de la documentation existante sur ce sujet, d’où qu’elle vienne, est qu’elle sacrifie souvent l’exposition des faits à la propagande, loi du genre dans de nombreux domaines ; il suffit de le garder à l’esprit et de s’en tenir aux faits et aux chiffres, qui peuvent être aisément vérifiés.
2 Rappelons qu’une grosse centrale thermodynamique classique déploie 800 MW et un réacteur nucléaire entre 900 et 1 400 MW.
3 Rappelons la faillite de Solar Millenium (Allemagne) et l’abandon de la filière par Siemens. En outre, s’agissant de l’Union européenne, selon EurObserv’ER, « la feuille de route solaire thermodynamique des Plans d’action nationaux énergies renouvelables (…). Du fait du contexte économique et politique actuel (elle) semble aujourd’hui hors de portée ». Le graphique présenté dans le « baromètre » montre en effet une quasi-stagnation des puissances installées entre 2013 et 2015.

BREVES CONSIDERATIONS SUR LE PETROLE.

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1. Introduction.

La question des ressources pétrolières, de leur évolution et des perspectives de leur épuisement donne lieu depuis des décennies à une quantité innombrable de publications de toutes sortes. Périodiquement, à telle ou telle occasion fournie par l’actualité économique, politique ou géostratégique, ou encore du fait de l’intérêt porté à ces questions par des organismes administratifs, industriels ou universitaires, se pose notamment la question de savoir à quel horizon les ressources pétrolières planétaires seront épuisées, ce qui en effet adviendra bien un jour.
La présente note a pour objet de fournir quelques éléments d’appréciation sur ce sujet en récapitulant des données historiques aisément accessibles.
Les données utilisées sont pour l’essentiel issues de la publication statistique annuelle de British Petroleum (BP) : Statistical Review of world energy, édition 2014, qui comporte des séries longues pour toutes les sources d’énergies, jusqu’en 2013 inclus.

2. La notion de « pic pétrolier ».

2.1 Généralités.

Cette notion est surtout connue par son expression anglo-saxonne « peak-oil ».

On considère les différentes phases d’exploitation d’un gisement 1 de pétrole. Le rythme d’exploitation est au début lent et progressif, pour différentes raisons : phase d’apprentissage de l’exploitation, organisation de la commercialisation, etc. Il y a ensuite une phase de croissance plus rapide, avec éventuellement de nouvelles découvertes, suivie d’un quasi-palier puis d’une décroissance (souvent appelée « déplétion ») du fait de l’épuisement progressif du gisement et des difficultés d’extraction en fin de vie.
C’est la période quasi stationnaire qui détermine le « pic pétrolier », défini comme le moment où la production passe par un maximum et commence à décroître. Le graphique de la quantité produite (par exemple le tonnage annuel) en fonction du temps prend la forme d’une courbe « en cloche » plus ou moins régulière.

On notera que cette notion de « pic » peut être appliquée à n’importe quelle autre substance dont la quantité est limitée.

2.2 Cas de la Norvège et du Royaume-Uni.

On prendra comme exemples les gisements des eaux territoriales en mer du Nord, respectivement celles de la Norvège et celles du Royaume-Uni. On sait que les découvertes de ces gisements « off-shore » et le début de leur exploitation remontent au début des années 1960.

Voici les graphiques de production pour ces deux ensembles, qui comportent chacun plusieurs champs pétrolifères qu’on ne détaillera pas ici.

MD_CE1G1

Malgré des irrégularités, les courbes présentent bien la configuration décrite précédemment. Le pic pétrolier a eu lieu au tournant de l’année 2000 pour les deux pays et la déplétion paraît inexorable. Les courbes sont très grossièrement symétriques, malgré des différences d’allures entre la montée en puissance et la déplétion des gisements.

Une autre représentation graphique possible consiste à tracer les productions cumulées, ce qui a pour intérêt notamment de limer les irrégularités de production dues à des accidents de conjoncture ou autres causes occasionnelles et non structurelles.

Voici le graphique des productions cumulées.

MD_CE1G2

Ces courbes sont extrêmement intéressantes. Ce sont des « courbes en S » ou « courbes logistiques » 2 (celle de la Norvège est particulièrement caractéristique), avec un point d’inflexion où la pente est maximum et qui correspond à l’époque du pic pétrolier. On voit que ces courbes tendront à la longue vers des maxima qui représentent la capacité des gisements de mer du Nord et seront atteints lors de leur épuisement.

2.3 Production et réserves. Cas de la Norvège.

Il est maintenant intéressant de rapprocher les productions réalisées et les réserves estimées, c’est-à-dire ce qui à chaque instant reste à exploiter dans chacun des gisements compte tenu des extractions antérieures. Les estimations de réserves ont évolué dans le temps, au fur et à mesure des améliorations technologiques, des nouvelles découvertes et de la mise en exploitation de nouveaux puits.

On considèrera le cas de la Norvège. Voici le graphique des estimations de réserves année après année depuis 1980.

MD_CE1G3

Ainsi en 1980, alors qu’avaient déjà été extraites un peu plus de 100 millions de tonnes (Mt) de pétrole, on estimait les réserves à 400 Mt, ce qui signifie que le gisement de l’époque (site Ekofisk pour l’essentiel) était crédité d’une capacité d’environ 500 Mt.
Par la suite, la découverte puis la mise en exploitation de sept autres sites ont conduit à réévaluer régulièrement les réserves. A l’époque du pic pétrolier, on estimait les réserves à environ 1 400 Mt alors que 2 000 Mt avaient déjà été extraites. En 2014, environ 3 500 Mt ont déjà été extraites et on estime à 1 000 Mt ce qui reste (une nouvelle découverte a été faite en 2012), soit si ce dernier chiffre est confirmé une capacité totale de 4 500 Mt dont l’horizon d’épuisement n’est évidemment pas connu (on cite parfois la date de 2040).
La capacité estimée des gisements norvégiens de la mer du nord a donc été multipliée par 10 en trente ans 3.

3. Production et consommation mondiales de pétrole.

3.1 Évolution de la production et de la consommation.

On sait que les ressources pétrolières sont très inégalement réparties dans le monde, ce qui tient à l’histoire géologique des continents. L’équilibre entre la production et la consommation ne peut donc être assuré que globalement et moyennant un ensemble d’exportations et d’importations massives par voie maritime ou terrestre.

Le graphique suivant représente l’évolution de la production et de la consommation mondiales depuis un demi-siècle. La série ne commence qu’en 1965, origine des séries des statistiques BP.

MD_CE1G4

On peut constater visuellement que les deux courbes sont très proches l’une de l’autre, voire souvent confondues.

Il y a donc eu une adéquation satisfaisante entre offre et demande mondiale, les faibles écarts annuels étant peu significatifs (stocks de fin d’années, etc.) : on ne note sur longue période ni surproduction notable ni pénurie notable, en dépit de troubles fréquents au Moyen-Orient 4. Autrement dit, la demande globale des consommateurs a déterminé l’offre des producteurs, laquelle s’est adaptée sans difficultés apparentes.

La production annuelle, fortement croissante jusqu’en 1973, s’est ensuite notablement ralentie. Puis les deux périodes troublées de 1973-1974 et de 1979-1982 marquées par les deux « chocs pétroliers » ont profondément perturbé le rythme de production ; ces évènements sont bien visibles sur la courbe ; on se rappelle que ces périodes ont connu des augmentations de prix très importantes ; on ne reviendra pas sur les évènements qui ont déterminé ces deux épisodes appartenant maintenant au passé éloigné.

Depuis 1983 environ, la production annuelle a crû de façon pratiquement linéaire, d’où l’allure rectiligne de la courbe malgré quelques irrégularités.

On ne décèle pas (disons « pas encore ») d’allure « en cloche ». A s’en tenir à l’aspect visuel, il semble donc que l’on soit encore loin du maximum de production caractéristique d’un « pic pétrolier ».

3.2 Production mondiale cumulée.

Comme pour les deux États analysés précédemment, il est possible de tracer la courbe de la production mondiale cumulée. C’est l’objet du graphique suivant.

La série BP ne commence qu’en 1965 ; à cette époque, la production cumulée était d’environ 25 milliards de tonnes (Gt), on a donc translaté la courbe de 25 Gt vers le haut pour obtenir la production cumulée depuis l’origine.

MD_CE1G5

La courbe de production annuelle n’accusait pas de forme « en cloche », il n’est donc pas surprenant que la courbe de production cumulée ne manifeste pas d’allure « en S ». Le pic pétrolier ne parait pas être actuellement en vue.

4. Évolution des réserves estimées.

On a vu sur l’exemple des gisements de la mer du Nord que les réserves avaient été réévaluées en permanence, au fur et à mesure de la meilleure connaissance des gisements exploités et de la découverte de gisements supplémentaires.

La notion de réserves « prouvées » généralement utilisée correspond aux réserves détectées et exploitables selon des technologies existantes ou en cours de mise au point. Contrairement aux productions et aux consommations, qui sont des données observées, les réserves résultent d’estimations déclarées par les compagnies pétrolières ou les États.

Il peut certes exister des surestimations et de sous-estimations dues à des erreurs d’appréciation ou à des arrière-pensées stratégiques. Toutefois, il est permis de considérer que ces approximations se compensent plus ou moins et que les ordres de grandeur globaux sont à peu près fiables.

Le graphique suivant représente l’historique des réserves « prouvées » selon la série statistique de BP, qui ne commence qu’en 1980. Comme la série longue est exprimée en barils, on l’a convertie en tonnes en utilisant le ratio BP de 2013 (soit 7,1 barils par tonne).

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En 1980, la production cumulée était de 65 Gt et les réserves étaient estimées à 100 Gt, soit 65 + 100 = 165 Gt de capacité totale.
En 2013, la production cumulée a atteint 185 Gt et les réserves sont estimées à 240 Gt, soit 185 + 240 = 425 Gt de capacité totale 5.

La capacité totale estimée est donc passée en trente ans de 165 à 425 Gt, soit une multiplication par 2,5.

Une autre manière de présenter l’évolution des réserves estimées est d’utiliser le ratio : « rapport entre réserves estimées en fin d’année et production de la même année », soit R/P, ce qui donne la durée qui resterait à courir jusqu’à épuisement des réserves dans le cas – tout théorique évidemment – où la production se stabiliserait au niveau actuel.

Ce ratio était :
En 1980, de 100 / 3 = 33 ans.
En 2013, de 240 / 4,1 = 58 ans 6.

Par conséquent, l’horizon d’épuisement des ressources pétrolières n’a cessé de s’éloigner au fil des années malgré la croissance de la production annuelle, sous l’effet des progrès technologiques et des nouvelles découvertes. Or d’une part les progrès technologiques n’ont aucune raison de s’interrompre et d’autre part de nouvelles découvertes sont d’ores et déjà prévisibles (les régions arctiques notamment sont âprement convoitées, mais pas seulement). Enfin les gisements non conventionnels (dont les schistes) peuvent révéler des ressources nouvelles.

Il est donc assez vraisemblable que les réserves continueront à être régulièrement réévaluées, et peut-être de façon notable, quoique les pronostics chiffrés en la matière restent hasardeux.

5. Évolution de la consommation de pétrole.

5.1 Le rapport Meadows.

Il est intéressant d’évoquer ici une étude qui a fait grand bruit vers 1970 : il s’agit du rapport « Meadows » du nom des deux auteurs (Massachusetts Institut of Technology, MIT), publié sous le titre « The Limits to Growth » (les limites de la croissance). Ce rapport a malheureusement été dévoyé par le tristement célèbre « club de Rome » spécialisé dans les prévisions aussi catastrophistes qu’erronées, sous le titre français « Halte à la croissance ? » (le point d’interrogation étant toutefois de rigueur), qui politisait et dramatisait ce travail pourtant méthodique et méritoire compte tenu des connaissances et des moyens de calculs de l’époque. Dans ce rapport (tableau 4A) les auteurs estimaient au minimum les réserves de pétrole à 455 milliards de barils, soit environ 65 Gt (s’ajoutant à environ 35 Gt déjà extraites). Mais ils émettaient l’hypothèse complémentaire (note n°4 du tableau 4A) qualifiée d’ « optimisée » que les réserves puissent être 5 fois plus importantes, ce qui donnait donc une capacité totale d’environ 5 x 65 + 35 = 360 Gt. On notera que ce chiffre n’est pas très éloigné des estimations actuelles (425 Gt comme on a vu).

Toutefois, dans cette hypothèse « optimisée », les auteurs concluaient à un épuisement des ressources mondiales au bout de 50 ans, c’est-à-dire en 2020, ce qui cette fois s’est révélé totalement erroné.

En fait, l’erreur d’appréciation des consorts Meadows était d’avoir basé leurs calculs prévisionnels sur la poursuite d’une croissance exponentielle de la consommation, donc de la production. C’est en effet ce qui avait été observé depuis la fin de la seconde guerre mondiale (les « trente glorieuses ») 7 mais il n’était guère plausible que ce type de croissance se prolonge très longtemps, compte tenu du caractère exceptionnel de cette période de remise en marche de l’économie mondiale.

On vient de voir en effet que la croissance s’était bien assagie depuis lors.

5.2 Tendances actuelles.

La tendance générale dont on vient de parler dissimule de fortes disparités entre les grandes régions du monde, comme l’indique le graphique suivant.

MD_CE1G7

On a fait débuter ce graphique en 1980 pour éliminer la période peu significative des deux chocs pétroliers.

On voit que les pays les plus développés : Amérique du nord, Europe, Japon, Australie, Corée du sud, ont stabilisé puis diminué leurs consommations sous l’effet des politiques d’économies d’énergie puis de la crise financière de 2008. La Russie et les pays voisins quant à eux ont stabilisé leurs consommations depuis l’effondrement de l’URSS.
La consommation totale de ces pays développés et assimilés représente actuellement environ la moitié de la consommation mondiale.

En revanche, la consommation du reste du monde est en croissance régulière, surtout en Asie.

Du fait de ces évolutions contraires, la croissance annuelle de la consommation mondiale de pétrole est sensiblement linéaire et actuellement inférieure à 1,2% (en la calculant sur une dizaine d’années). Elle a notamment été de 1,1% entre 2012 et 2013.

5.3 Un peu de prospective.

Il est peu vraisemblable que l’on assiste à une « explosion » de la demande de pétrole dans les pays en développement ni à un renversement des politiques d’économies d’énergie dans les pays développés. C’est pourquoi une prolongation de la tendance actuelle (observée depuis trente ans rappelons-le) pendant encore quelques décennies n’est pas une hypothèse déraisonnable. Simplement à titre d’exercice, supposons donc que la consommation, qui était de 4,1 Gt en 2013, continue à croître linéairement à partir de cette date au rythme de 1,2% par an sans s’infléchir. Pour parvenir à épuiser les réserves estimées actuelles (soient 240 Gt) le calcul montre qu’il faudrait environ 45 ans 8 ce qui conduit à l’horizon 2060 environ. Cette première estimation est déjà intéressante en soi.

Mais les choses pourraient évoluer de façon différente. En effet, comme dans de nombreux autres domaines de la consommation et du mode de vie, il est probable que l’ensemble du monde se rapprochera peu à peu des standards occidentaux. A moyen ou long terme la consommation des pays en développement, et donc la consommation mondiale, devrait donc progressivement tendre vers une stabilisation puis une décroissance.

Par ailleurs, les réserves estimées ont toutes chances d’augmenter encore dans les prochaines décennies pour les raisons indiquées précédemment. Enfin, il est illusoire de penser que pour des raisons idéologiques ou autres le monde puisse laisser en place la moindre réserve accessible de cette matière première à haute valeur énergétique et pratiquement irremplaçable dans de nombreux domaines.

En partant de ces prémisses, il n’est pas déraisonnable de considérer que le monde disposera encore de ressources pétrolières au moins jusqu’à la fin du XXIème siècle, le « pic » s’étant produit entre temps.

Bien entendu, il n’est pas interdit de préparer l’ « après-pétrole », mais méthodiquement et calmement, et sans permettre aux émotions, aux préjugés, aux idéologies et aux mensonges institutionnels de prendre le pas sur les considérations scientifiques. Il n’est pas certain que le monde ait cette sagesse, et c’est là la principale incertitude.

1 Par « gisement », on peut entendre un champ précis, ou un ensemble de champs situés dans un secteur donné, ou encore les ressources totales d’un Etat, voire une région du monde ou même le monde entier comme on va le voir.
2 Ce type de courbe présente un caractère universel ; on la rencontre dans un très grand nombre de phénomènes : psychologie, biologie, sociologie, physique, etc. Mathématiquement, la courbe en S est la dérivée de la courbe en cloche.
3 Notons que la Norvège, qui possède des eaux territoriales en océan Arctique, envisage désormais l’exploitation de ces ressources pour assurer le relais de celles de la mer du Nord.
4 Les fluctuations parfois importantes des cours du pétrole brut au cours de la période semblent répondre à de tout autres causes que la simple loi de l’offre et de la demande, causes que l’on n’analysera pas ici.
5 BP tient un compte à part de deux gisements particuliers : les sables bitumineux du Canada et le gisement Orinoco du Venezuela, pour des raisons qui ne seront pas exposées ici. Ces deux réserves cumulées représenteraient environ 60 Gt supplémentaires. Le présent graphique ne les prend pas en compte.
6 BP donne en 2013 un R/P plus faible (53,3 ans), pour des raisons non élucidées. Si on tenait compte des réserves supplémentaires du Canada et du Venezuela, le R/P serait de 70 ans.
7 Cette erreur était courante à l’époque. Elle avait déjà été celle du révérend Thomas Malthus, un siècle et demi plus tôt. Il serait hasardeux de considérer qu’elle a été totalement éradiquée de la pensée scientifique…
8 Et 54 ans si l’on prend en compte les 60 Gt de réserves supplémentaires du Canada et du Venezuela, ce qui conduit à l’horizon 2070 environ.