
1/ Introduction.
Dans une chronique précédente (« L’énergie dans le monde, synthèse »), on avait retracé l’évolution des productions, des consommations et des ressources d’énergies dans le monde, ainsi que des émissions et des concentrations de dioxyde de carbone CO2 dues aux énergies fossiles. On trouvera dans la présente note des informations complémentaires permettant d’éclairer les tendances à venir, et une esquisse de prospective.
La source d’information principale sera le Carbon Dioxide Information Analysis Center (CDIAC), relié au département de l’énergie (DOE) des Etats-Unis 1.
Le CDIAC fournit pour chaque année un état et un historique des émissions de CO2 dans le monde 2. Son dernier Global Carbon Budget a été publié en septembre 2014. Les séries vont de 1960 à 2013 3.
Les chiffres donnés par le CDIAC résultent de calculs et non de mesures in situ. On verra toutefois qu’ils se recoupent convenablement avec les observations.
2/ Origines du CO2 anthropique.
Le CDIAC distingue deux types de sources : celles qui proviennent de l’utilisation des ressources fossiles et celles qui résultent de changements dans l’affectation des terres (déforestations, cultures, jachères, etc).
2.1 Produits fossiles.
Les émissions dues aux produits fossiles sont réparties en cinq catégories : les trois combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz), la production de ciment 4, les émissions des torchères. La répartition entre ces cinq sources est retracée par le graphique ci-dessous (année 2013, milliards de tonnes ou Gt, et pourcentages).
Émissions mondiales de CO2 en 2013 (Gt de CO2 et pourcentages) source CDIAC

Les émissions fossiles étaient en 2013 de 36,15 Gt de CO2, dont 33,9 Gt pour les trois combustibles fossiles.
2.2 Utilisation des sols.
Ces émissions étaient en 2013 de 3,25 Gt.
2.3 Total.
Les émissions anthropiques de CO2 étaient donc en 2013 estimées à 36,15 + 3,25 = 39,4 Gt, dont 33,9 Gt soient 86% dues aux seuls combustibles fossiles.
3/ Destinations du CO2 anthropique.
Cet excédent de CO2 ne reste pas en totalité dans l’atmosphère. Une partie des émissions est absorbée, à part à peu près égales, par la végétation terrestre qui s’en nourrit, et par les océans (dissolution dans l’eau 5 et absorption par la végétation marine). On donne le nom de « puits » de carbone à ces absorptions.
Pour 2013 pris comme exemple, on obtient selon le CDIAC le bilan suivant :
- émissions fossiles 36,15
- utilisation des sols 3,25
- Émissions totales 39,4 Gt
- puits océaniques : -10,5 Gt
- puits terrestres : -9,2 Gt
- Puits totaux : -19,7 Gt
- Reste dans l’atmosphère : 19,7 Gt
Ne serait donc restée dans l’atmosphère en 2013 qu’environ la moitié des émissions anthropiques 6
4/ Bilans annuels du CO2 anthropique.
Les graphiques ci-dessous montrent l’évolution de ces différents paramètres depuis 1960 : émissions, puits, et bilan émissions moins puits.
Émissions.

Sur les vingt ou trente dernières années, les émissions ont augmenté en moyenne d’environ 0,6 milliards de tonnes par an. La courbe présente des irrégularités dues aux vicissitudes économiques. Par exemple, au début des années 2000 on discerne, après une baisse momentanée, un redressement qui résulte probablement du décollage économique de la Chine et dans une moindre mesure de l’Inde 7.
Puits

L’absorption par les océans croît relativement régulièrement alors que celle des puits terrestres croît en tendance mais avec des variations annuelles considérables (ce qui ne facilite pas la lecture des courbes).
Bilans émissions / puits.

La proportion de CO2 qui subsiste dans l’atmosphère est d’environ 45% des émissions, valeur moyenne observée depuis plus de trente ans. Les puits ont donc absorbé 55% des émissions.
5/ Émissions calculées et concentrations de CO2.
Les concentrations effectives de CO2 dans l’atmosphère sont depuis 1959 mesurées par la NOAA 8 à l’observatoire de Mauna Loa (Hawaï). On peut donc comparer les évolution annuelles de la masse de CO2 subsistant dans l’atmosphère (calculées) avec les évolution annuelles des concentration de CO2 dans l’atmosphère (mesurées) 9.

Les échelles ont été choisies de façon à faire approximativement coïncider les origines et extrémités des deux courbes. Malgré les inévitables écarts dues à l’hétérogénéité des sources, on ne peut manquer de constater l’analogie entre les deux courbes 10.
Cette analogie est plus nette si l’on compare cette fois la masse cumulée de CO2 anthropique restée dans l’atmosphère avec les concentrations observées depuis 1960.

Pour la totalité de la période de 1960 à 2013, on obtient les chiffres suivants :
-masse de CO2 anthropique émise :
-masse de CO2 anthropique restée dans l’atmosphère :
-augmentation de concentration en CO2 : 397 – 317 = |
1 407
618
80 |
Gt
Gt (un peu moins de 45%)
ppmv |
Par conséquent, une émission de 1 407 / 80 = 17,5 milliards de tonnes de CO2, entraîne une augmentation de concentration dans l’air de 1 ppmv (on utilisera ce ratio dans la suite).
6/ Contexte démographique et économique mondial.
Pour rattacher les données précédentes à la macro-économie, on se référera à des séries démographiques et économiques relatives au monde entier pour la période 1960-2013. Les données proviennent de la Banque mondiale 11.
Population.
La population est passée entre 1960 et 2013 de 3 milliards à 7,1 milliards d’habitants. La croissance d’une année à l’autre, qui était supérieure à 2% dans les années 1960, est actuellement d’environ 1,1 %. Sur les trente dernières années, la population s’est accrue à peu près linéairement d’environ 79 millions d’habitants par an.

Émissions de CO2 par habitant.
Toutes sources confondues, les émissions ont varié entre 4,6 et 5,6 tonnes par habitant et par an ; après une baisse irrégulière de 1970 à 2001, elles sont en augmentation depuis l’année 2001.

Produit intérieur brut.
Le PIB mondial, exprimé en dollars US constants (base 2005) 12, est passé entre 1960 et 2013 de 9 000 à 56 000 milliards de dollars.
Le PIB par habitant croît à peu près linéairement à raison d’environ 90 dollars par an. Il est actuellement de 7 900 dollars.

Émissions de CO2 par unité de PIB.
Ce ratio, qui exprime le contenu du PIB en CO2, reflète à peu près fidèlement la productivité énergétique de l’économie mondiale. Il est en effet le produit du contenu de l’énergie en CO2 (tonne de CO2 par tep ou kWh) par le contenu du PIB en énergie (tep ou kWh par unité de PIB).
Le contenu de l’énergie en CO2 est pratiquement constant depuis trente ans en raison de la prépondérance des énergies fossiles (environ 2,9 t CO2 par tep).
Le contenu du PIB en énergie a été régulièrement décroissant entre 1960 et 2000, mais marque depuis lors une stabilisation (environ 0,24 tep pour 1 000 dollars).
Il en résulte que le contenu du PIB en CO2, décroissant entre 1960 et 2000, est stabilisé depuis lors à environ 2,9 x 0,24=0,70 tonnes de CO2 pour 1 000 dollars US de PIB.

7/ Essai de prospective.
7.1 Principes.
A l’aide des éléments macro-économiques précédents, on peut tenter de dégager une première idée de l’évolution future de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, en tenant compte des remarques suivantes.
-La relative régularité des courbes présentées traduit la robustesse des tendances, explicable par les masses et les inerties considérables qui sont en jeu. Les irrégularités momentanées liées aux vicissitudes économiques (chocs et contre-chocs pétroliers et autres crises) sont corrigées dans les années qui suivent.
-Certaines courbes d’évolution ont des allures quasi-linéaires quand on les observe sur longues périodes. Les évolutions d’une année à l’autre sont alors décroissantes en pourcentages et constantes en valeurs absolues.
-Les tendances démographiques et macro-économiques des quelques trois ou quatre décennies qui nous séparent de cet horizon sont déjà largement engagées en raison des inerties rappelées précédemment. On ne risque donc pas grand-chose en prolongeant certaines droites de tendance caractérisées 13.
7.2 L’année 2050.
-Population. Au rythme actuel, la population s’accroitrait de 37 ans x 79 millions, soit 2,9 milliards d’habitants de plus, ce qui amène à environ 10 milliards d’habitants en 2050.
-PIB par habitant. Il continuerait à croître de 90 dollars par an, et atteindrait 7 900 + 37 x 90 soit environ 11 000 dollars.
-PIB total. Il serait alors de l’ordre de 10 x 11 000 = 110 000 milliards de dollars.
Ces hypothèses serviront de base aux estimations suivantes. Elles supposent des augmentations progressives à l’image des décennies passées, sans rupture dans les croissances démographique et économique.
Pour passer de ces données macro-économiques aux émissions de CO2, on choisira comme variable le contenu du PIB en CO2 qui semble mieux adapté que les émissions par habitant (relativement erratiques et purement démographiques).
L’évolution future de ce ratio est incertaine. Les gains de productivité énergétique vont très probablement se poursuivre. Le contenu du PIB en CO2 devrait donc continuer à baisser progressivement à partir de la valeur actuelle de 0,70 tonnes pour 1 000 dollars. Mais l’absence de tendance discernable dans les quinze dernières années rend les hypothèses hasardeuses. On raisonnera donc sur une fourchette de 0,70 à 0,50 tonnes pour 1 000 dollars en 2050, c’est à dire entre le maintien de la valeur actuelle (peu probable) et une diminution significative mais relativement limitée. Ces hypothèses impliquent qu’il n’y ait pas de rupture dans la répartition entre les différentes sources d’énergie. En particulier, les consommations d’énergies fossiles sont supposées continuer à augmenter régulièrement 14, même si des substitutions partielles par d’autres types d’énergies interviennent dans l’intervalle.
Tous calculs faits, on obtient ainsi le tableau suivant.

En définitive, le choix de l’hypothèse sur le contenu du PIB en CO2 ne se traduit pas par des différences considérables dans les concentrations atteintes en 2050 : dans les trois exemples considérés, elles se situeraient autour d’une valeur moyenne de l’ordre de 510 ppmv, avec un débattement inférieur à ±2,5%.
7.3 Évolution entre 2013 et 2050.
A titre de simulation, les deux graphiques ci-dessous montrent comment évolueraient approximativement les émissions 15 et les concentrations, dans l’hypothèse moyenne de 0,60 tonnes de CO2 pour 1 000 dollars de PIB en 2050 (contre 0,70 en 2013).

Ces courbes ne sont données qu’à titre d’illustration 16. Dans cette hypothèse moyenne, la concentration en CO2 augmenterait sur la période d’environ 3 ppmv par an en moyenne, ce qui semble un peu élevé au vu de la tendance des vingt dernières années (chapitre 5) mais reste plausible.
8. Conclusions.
En définitive, il semble que l’on puisse tenir pour plausible, en 2050, une concentration de CO2 peu différente de 500 ppmv, dans l’hypothèse la plus probable d’une poursuite des tendances antérieures pendant encore quelques décennies.
Les estimations précédentes ne constituent qu’un dégrossissage basé sur des données globales. Il est loisible à chacun d’élaborer ses propres projections, si nécessaire en multipliant les variables et les hypothèses. Il n’est pas certain que la vraisemblance gagne à la profusion de « scénarios » incertains par définition.
On connaît les causes de la croissance des émissions de CO2 anthropiques, et surtout des émissions dues à la combustion des énergies fossiles. Celles-ci, on l’a vu, représentent près des 9/10èmes des émissions anthropiques, le reste étant dû à la fabrication du ciment et aux modifications dans l’utilisation des sols.
On rappellera seulement que le demi-siècle sous revue a connu, notamment grâce justement aux énergies fossiles, des avancées spectaculaires en matière de production industrielle, d’énergie électrique, de production agricole, de niveau de vie, de santé publique, d’espérance de vie.
Ces progrès se sont propagés de proche en proche dans le monde entier, mais la majorité des habitants de la planète n’a pas encore accédé – ou pas complètement – à ce niveau de prospérité inédit dans l’Histoire.
L’écart de développement entre les pays avancés et le reste du monde est encore très important : l’accès à l’électricité en est un exemple bien connu ; il n’est pas le seul mais il est fondamental.
Les pays n’appartenant pas à l’OCDE comptent actuellement par rapport au monde entier 73% de la population mais seulement 29% du PIB global 17. Ces pays n’auront de cesse de s’approcher des standards de vie de l’Occident. Il est facile de voir que cet objectif ne sera pas encore atteint en 2050, ce qui justifie les hypothèses de poursuite des tendances pour les quelques décennies à venir.
Les pays avancés, dont le poids démographique et économique relatif ne fera que décliner, n’ont aucun droit de regard sur cette évolution, et auront de moins en moins le pouvoir de l’enrayer, le voudraient-ils.
1 http://cdiac.ornl.gov/GCP/carbonbudget/2014/
2 Les séries du CDIAC sont exprimées en masses de Carbone. On les a converties en masses de CO2 (rapport des masses moléculaires, soit un multiplicateur de 3,664 selon le CDIAC).
3 Dans la suite, nous donnons les chiffres avec des décimales simplement pour la cohérence des calculs. Il va sans dire que tous ces chiffres sont approximatifs, comme l’indique d’ailleurs le CDIAC dans ses publications.
4 Le calcaire CO3Ca se transforme en chaux CaO selon la relation (très simplifiée) CO3Ca→CaO + CO2.
5 On rappelle que la solubilité du CO2 dans l’eau est inversement proportionnelle à la température, toutes choses égales par ailleurs.
6 L’égalité parfaite en 2013 n’est que fortuite comme on va le voir.
7 Cette inflexion vers le haut coïncide aussi avec la mise en route du fameux protocole dit « de Kyoto » qui devait amorcer au contraire une rupture de tendance dans la consommation des énergies fossiles. Les engagements unilatéraux des États développés ne semblent pas avoir obtenu l’effet escompté.
8 National oceanic & atmospheric administration http://www.esrl.noaa.gov/gmd/ccgg/trends/.
9 Exprimées traditionnellement en parties par million en volume ou ppmv. La concentration de 2014 est connue, contrairement aux émissions, que le CDIAC n’a pas encore publiées.
10 Le CDIAC ne précise pas s’il tient compte des mesures in situ dans ses calculs et ses recoupements.
11 http://donnees.banquemondiale.org/
12 Les séries du PIB exprimé en parité de pouvoir d’achat (PPP dollar international 2011) seraient peut-être plus pertinentes, mais elles ne sont disponibles que depuis 1990.
13 Comme on peut le vérifier visuellement, les pronostiqueurs de l’année 1985 n’auraient pas commis une très grosse erreur en appliquant cette méthode aux 30 années qui allaient suivre, malgré les vicissitudes que l’on sait.
14 On a vu dans d’autres chroniques que les réserves fossiles étaient largement suffisantes pour autoriser une telle hypothèse à cet horizon.
15 Les émissions dues à l’utilisation des sols ont été supposées constantes.
16 En effet, on a supposé pour simplifier que les émissions anthropiques augmentaient d’une quantité annuelle constante entre les émissions 2013 et les émissions cibles de 2050. Les concentrations sont alors obtenues à partir de la somme des termes d’une progression arithmétique, d’où la forme parabolique de la courbe. En raison de ces approximations, les valeurs intermédiaires des deux courbes ne sont donc qu’approximatives.
17 5,9 milliards d’habitants sur 7,1 et 16 000 milliards de dollars sur 55 000. En termes de parité de pouvoir d’achat, 54% du PIB, soient 53 000 milliards de dollars sur 99 000 milliards (source Banque mondiale).